Jusqu’à présent, j’ai toujours eu la chance d’habiter non loin de la frontière allemande. De là, un jumelage de mon collège d’adolescence avec un Gymnasium sarrois qui me vaut une très longue amitié avec une chère pianiste, un partenariat du département de la Moselle avec la ville alors est-allemande de Madgebourg qui m’a permis de séjourner à quatre reprises en République Démocratique Allemande dans les années 80, une participation jeune adulte à des échanges franco-allemands d’instituteurs qui m’ont valu de travailler un an en jardin d’enfants en Rhénanie-Palatinat, et plus tard un poste en classe bilingue en Alsace qui a entraîné une correspondance scolaire avec une classe du Bade-Wurtemberg ayant abouti sur une classe verte commune en 1996. Tous ces échanges franco-allemands m’ont occasionné des amitiés durables outre-Rhin et permis de progresser dans la langue de Goethe qui n’est pas complètement étrangère à mes oreilles : une de mes langues maternelles est le dialecte mosellan appelé Platt ou francique et dans ma famille, tout le monde a toujours compris, parlé voire enseigné l’allemand.
L’histoire avait pourtant été douloureuse avec les annexions successives de l’Alsace-Moselle à l’Allemagne au gré des trois guerres de 1870 à 1945, mais j’ai eu cette chance de vivre dans une famille demeurant sans rancune vis-à-vis du voisin germanique. Ainsi, ma correspondante allemande d’adolescence a toujours été bien accueillie par les miens, mon grand-père paternel né en 1894 n’ayant jamais su parler français et sachant écrire d’une superbe écriture gothique prenant plaisir à converser avec elle. Dans ses souvenirs, le déplacement sur le front Est contre les troupes russes sous les couleurs allemandes au cours de la première guerre mondiale revenait de manière récurrente et il aimait à montrer son carnet militaire. Je n’ai jamais entendu, dans ma famille, de propos haineux sur ceux qui furent pourtant longtemps des adversaires pendant guerres et annexions. La résilience faisait son œuvre, des accointances culturelles et linguistiques prenant le pas sur une rancœur qui aurait pu s’installer. On n’avait pas d’a priori négatifs sur l’Allemagne et ses habitants, même si on se réjouissait d’être redevenus ou restés Français.
Ainsi, j’ai pu bâtir sereinement, au cœur de l’Europe, des ponts et des amitiés solides avec l’Allemagne et des Allemands. J’ai pleuré de joie et de soulagement à la chute du Mur de Berlin en 1989, mes amis de l’Est devenant enfin libres de nous rendre visite en France. Je me suis réjouie de la Réunification, le rideau de fer ayant constitué une blessure qui traversait mon cœur autant qu’il défigurait l’Europe. Et si je me suis engagée à travailler pendant trois ans en classe bilingue pratiquant la parité entre langue française et langue allemande, ce n’est certes pas par régionalisme mais bien plutôt par souci de construire concrètement des aptitudes à une vie européenne accomplie pour de jeunes enfants appelés à devenir ferments d’unité dans la région alsacienne des Trois frontières (France-Allemagne-Suisse).
Je suis fidèle en amitié et me suis infiniment réjouie ce week-end d’avoir été invitée à fêter les 70 ans d’une ancienne collègue de Rhénanie-Palatinat. Et ce fut aussi l’occasion de revoir des amis enseignants français rencontrés au cours de cette année de travail en Allemagne il y a maintenant pas loin de quarante ans. Réunis hier matin autour d’un somptueux petit-déjeuner allemand chez notre amie commune, nous nous sommes pris à converser ensemble dans la langue de Goethe pour ne pas exclure de nos propos les convives non francophones.
Je me réjouis déjà, à l’occasion d’un événement festif que j’organise dans trois mois, de pouvoir réunir ma famille et mes amis de France et d’Allemagne. La Sarre, la Rhénanie-Palatinat et la région de Magdebourg s’y rencontreront pour la première fois, dans une harmonie franco-allemande qui me tient particulièrement à cœur. J’aurai le souci d’utiliser les deux langues pour que personne ne se sente exclu linguistiquement au cours de la soirée.
Quittant dans quelques mois définitivement l’Alsace pour Toulouse, j’aurai du chagrin de m’éloigner de l’Allemagne que j’aime tant. Mais non loin de chez moi se trouvera la frontière espagnole, et je me réjouis de ma future proximité avec l’Espagne que j’apprécie aussi particulièrement, et où je compte également des amis. Un peu moins à l’aise dans la langue espagnole que dans la langue allemande, je m’emploierai néanmoins à réactiver mes connaissances pour des incursions dans la péninsule ibérique, toujours dans le but de mêler au plaisir touristique le besoin de “faire Europe”. L’hymne à la joie de Beethoven est l’un de mes airs préférés !
4 commentaires
Alain SCHEUIR-SEGOT,
Je lis avec appétence votre avis qu’il chausse avec exactitude, avec le constat que je fais de l’état des lieux de l’Eglise Catholique Romaine. Elle tente le “coup de tête” fier. peu importe ce que cela puisse faire perdre au reste de la chrétienté. Elle n’est plus que le poil à gratter du reste du monde, qui est passé à autre chose. Mais à quoi donc?
Faire sans Dieu me semble prétentieux, creux et vide.
Deo gratia
JM
Vos échanges me touchent.
Merci.
Je suis dans la même situation que vous, dans l’Eglise mais aux marges, dans une contestation fraternelle des dérives cléricales et surtout de ce que je nomme l’insoutenable construction d’une identité féminine par Jean-Paul 2 ” Mulieris dignitatem et son corollaire disciplinaire “ordonacio sacerdotalis” qui exclut définitivement les femmes de l’ordination.
Je reste dans l’Eglise car elle m’a enseignée, et que j’y puise mon réconfort et ma source de vie dans l’eucharistie et la vie “en peuple de Dieu”de ma région du Sud Ouest de la France mais dans le même temps, je rejoins aussi souvent qu’il m’est possible les communautés luthériennes.
Amitiés.
Bonjour Véronique,
Félicitations pour votre blog que je découvre avec d’autant plus d’intérêt qu’il existe certains points communs entre vous et moi.
Lorrain du sud né à Nancy, j’ai vécu ma jeunesse dans les Vosges. A l’âge adulte, je les ai quittés pour d’autres contrées mais je reste toutefois très attaché à mes racines. Mon père, né en 1899, fut fait prisonnier de guerre en 1940. Ayant toujours ressenti un profond respect pour l’Allemagne et sa culture, il a largement approuvé le rapprochement franco-allemand ; grâce à lui, j’ai été tout comme vous mais dans une bien moindre mesure, un petit artisan de l’amitié franco-allemande jusqu’au milieu des années quatre-vingt, époque où les circonstances de la vie ne m’ont plus permis de l’être concrètement.
Je suis demeuré longtemps un catholique de tradition. Puis à un moment de ma vie, j’ai ressenti le besoin d’un engagement plus fort au service de l’Eglise et de l’Evangile et pendant cinq ans, j’ai suivi une formation en vue du diaconat permanent. Mais ces études et mes réflexions me conduisirent à remettre en cause ma discipline catholique. J’ai pris conscience de l’impossibilité pour moi de me conformer au magistère et par honnêteté intellectuelle, j’ai du renoncer à l’ordination.
Tout au long de mon existence, la Providence m’avait toujours permis de rencontrer et de fréquenter d’autres chrétiens. Je me suis alors tourné vers le protestantisme luthérien car je me sentais très proche de la Confession d’Augsbourg. Pendant longtemps, j’ai eu pour compagne une africaine de confession presbytérienne. Grâce à elle, j’ai découvert l’Afrique, ses particularités, ses atouts et ses faiblesses, mais surtout un christianisme œcuménique très vivant. Je me suis remis aux études et j’ai ainsi découvert qu’il existait dans le catholicisme, tout un courant progressiste que j’ignorais. L’œuvre de théologiens et d’auteurs comme K. Rahner, K. Barth, J. Moingt, B. Sesboué, H. Küng, M. Légaut, etc… m’a permis d’avancer sur mon chemin spirituel et de me repositionner dans l’Eglise.
Aujourd’hui, en dépit de toutes mes réticences, je demeure dans l’Eglise catholique romaine car je souhaite participer de l’intérieur, à la conversion entamée avec Vatican II qui n’est, comme l’écrivait K. Rahner, que « le commencement d’un commencement ». En dépit de ses maladresses, je crois que François est dans le même état d’esprit que Jean XXIII qui souhaitait pour l’Eglise romaine, un véritable aggiornamento. Le synode sur la synodalité est un premier pas.
Mon espérance rejoint la pensée d’Erasme qui en son temps, estimait que l’Eglise devait se débarrasser du « trop plein » théologique de la scolastique et du thomisme, pour revenir à la simplicité évangélique. Je rêve qu’ainsi, l’Eglise romaine devienne vraiment catholique, c’est-à-dire universelle, en rassemblant tous celles et ceux qui confessent le même Credo, peu importe leurs cultures et leurs traditions dès lors qu’ils reconnaissent en Christ leur Sauveur.
J’ai hâte de poursuivre la découverte de votre blog.
Fraternellement,
Alain SCHEUIR-SEGOT
Bonjour Alain, merci infiniment pour ce message si riche et intéressant ! Oui en effet, il y a bien des similitudes dans nos itinéraires ! Et je comprends tout à fait que vous ayez pu être freiné dans votre désir généreux de devenir diacre par difficulté à adhérer à 100 % au magistère.
Moi-même, j’ai toujours été retenue dans mes réponses aux appels reçus à prendre un mandat dans l’équipe d’animation pastorale, dans la catéchèse, dans la formation théologique, et au dernier à devenir sacristine par crainte d’être formatée, de devoir me conformer à un magistère auquel j’étais incapable d’adhérer les yeux fermés. J’ai toujours rencontré en tant que catholique le même problème : mon approche de Dieu est mystique, je me sens fortement reliée à la Trinité de manière directe, épanouissante, bouleversante parfois, comblante spirituellement, et si l’Eglise catholique me donnait l’ouverture sur les Ecritures et l’eucharistie, pour le reste elle se dressait comme un obstacle douloureux entre le Dieu Trine et moi et non comme une aide ou un passage obligé.
On ne m’a jamais reconnu en Eglise ce charisme de proximité forte avec Dieu, arguant que si je ne me montrais pas capable de servir l’Eglise en conséquence, c’était que je demeurais dans l’erreur de jugement, le délire mystique ou pire, le manque de foi ! Les clercs confondent bien trop souvent amour pour Dieu et servilité dans l’Eglise. Pour nombre d’entre eux, l’Eglise devient une fin et non plus un moyen. Ils se dévouent à l’Eglise bien davantage qu’au Christ et à l’Evangile, et ils en attendent autant des fidèles les plus fervents.
J’ai toujours été une paria dérangeante dans la mesure où je dénonçais cet état de fait. On voulait me faire croire que déclinant les appels ecclésiaux à servir une paroisse, je refusais de me conformer à la Volonté de Dieu. Or je m’érige contre cette croyance catholique que le clerc soit forcément un intermédiaire entre Dieu et le fidèle. Et encore davantage contre le fait qu’il soit un intermédiaire OBLIGE entre Dieu et l’âme. C’est toute la hiérarchisation dans l’Eglise catholique que je remets en question, et le concept même d’obéissance au supérieur comme signe de l’obéissance à Dieu.
Je m’identifie un peu aux béguines flamandes, mal vues par l’Eglise de leur temps voire mises à mort.
Le catholicisme a beau vénérer des mystiques élevées à la gloire des autels, dans une grande hypocrisie, il continue à ostraciser toutes celles qui sont lui sont contemporaines… ou alors, dans un très grand manque de discernement, il laisse prospérer les faux prophètes et faux mystiques qui émergent en son sein même, je pense à tous ces fondateurs et “bergers” de communautés charismatiques auteurs de tant d’abus, et aux prophétesses auto-proclamées du style Maria Valtorta.
L’Eglise pèche en ceci même qu’elle se prétend sainte et détentrice de la Vérité : quand elle tombe sur un pseudo-mystique qui obéit au magistère voire le défend, elle crie à l’authenticité ou alors laisse pourrir des situations d’imposture telles que Medjugorje. Tout cela parce qu’elle confond encore et toujours sa doctrine avec la vérité de Dieu.
Si on conteste le magistère, on est forcément considéré comme douteux voire apostat. Et au mieux ignoré, au pire persécuté.
Moi je revendique d’avoir été un grain de sable dérangeant dans ce mécanisme d’emprise spirituelle bien huilé.
On m’objectera encore Jeanne d’Arc à son procès : “M’est avis que Jésus Christ et l’Eglise, c’est tout un”.
Elle disait ceci à la fin du Moyen-Age et avant la Réforme.
C’est impossible de soutenir un tel propos de nos jours au sujet d’une Eglise qui a empilé tant de doctrines et de dogmes aussi indéfendables que celui, révoltant, de l’infaillibilité pontificale, summum de l’orgueil clérical catholique.
Pour moi, j’ai donc pris mes distances avec une institution qui se prétend conforme à l’attente du Christ alors qu’elle ne l’est pas.
Le Christ et sa Parole sont une chose – source de Vérité – et l’Eglise catholique apostolique et romaine une autre, qui entre d’ailleurs bien souvent en conflit avec la Volonté même de Dieu.