Combien de fois m’a-t-on objecté cette maxime quand j’en appelais à la justice de Dieu ! Combien de fois m’a-t-on accusée d’un défaut d’humilité quand j’avançais l’idée de gradations dans le péché, de différences entre les âmes, de consciences plus ou moins pures !
A vrai dire, je supporte de plus en plus mal cette contrition qui se devrait universelle et sans nuances “Nous sommes tous pécheurs”. Et cette affirmation parfois hasardeuse jusqu’au scandale : “Nous sommes tous des pécheurs pardonnés”.
Il faudrait que nous nous rendions compte de ce que nous affirmons ainsi en tant que chrétiens. Il faudrait que nous interrogions notre propre vision de Dieu et celle que nous véhiculons en direction des non-croyants ou croyants d’autres confessions quand nous professons une telle croyance.
Or pour moi, il n’y a aucune commune mesure, comme je l’écrivais récemment à une amie, entre l’état de l’âme d’un Théodore Monod et celle d’un Michel Fourniret de leur vivant et au moment du passage de la mort. Tout comme il n’y a aucune commune mesure entre la victime d’un violeur / tueur en série et son bourreau. Aucune commune mesure entre le conjoint auteur de violences conjugales et la victime de ses coups ou de féminicide – c’est plus rarement dans l’autre sens, même si cela existe. Aucune commune mesure entre le pervers narcissique manipulateur et sa proie. Aucune commune mesure entre le dictateur et son opposant politique qui croupit dans une geôle parfois jusqu’à la mort. Aucune commune mesure entre Hitler et Anne Frank ou Edith Stein. Aucune commune mesure entre le prédateur sexuel en soutane et l’enfant de chœur tombé entre ses griffes. Aucune commune mesure entre le chefaillon pervers et manipulateur et son subordonné meurtri au travail et jusque dans sa vie privée.
Je juge des âmes ?
Grand bien me fasse si je suis capable d’exercer un certain jugement, un certain discernement des esprits !
Certes, je ne suis pas dans la peau et la conscience des grands prédateurs de leur prochain. Je suis même incapable de discerner leurs motivations et les ressorts qui les animent, tant je suis pour ma part torturée à la seule pensée de pouvoir un jour nuire à autrui. Oui, un accident de la route pourrait me rendre autrice d’un homicide, plongeant une personne dans la mort et son entourage dans la détresse. Oui, aimant quelqu’un et étant aimée de lui, je pourrais blesser une tierce personne délaissée et amère de ce fait. Je pourrais susciter dans un cœur tourmenté haine et jalousie. Je pourrais aussi pécher par omission, menant une vie confortable tandis que mon prochain endure la misère. Je pourrais passer à côté de maintes occasions de faire le bien sans pourtant le faire.
En ce sens-là, oui, “nous sommes tous pécheurs”. Evidemment. A l’exception du Christ Jésus, personne n’a jamais mené une vie qui ne soit que droiture, justice et justesse de ton. Rendons-lui grâce pour le modèle indépassable qu’il a mis sous nos yeux.
De là à “mettre dans le même panier” l’innocent/e qui ne pèche que par omission ou occasion malheureuse et les malfaisant/es notoires, il y a un pas que je ne puis franchir. Il y a des gradations dans le péché tout comme il y a une échelle dans les délits et les crimes, une manière différente de les traiter en justice et des sanctions pénales proportionnées.
On m’objectera encore que la justice de Dieu n’est pas la justice des hommes, que la justice de Dieu, c’est sa miséricorde. Miséricorde il y a, oui, cela est certain. Possibilité de contrition, de conversion et donc de miséricorde, oui.
Mais n’est-ce pas une institution abritant et absolvant en son sein-même des criminels qui a développé cette notion du “tout miséricorde” pour se rassurer sur l’état de sa conscience peccamineuse et s’octroyer le salut au mépris des victimes innombrables laissées au bord de ses parvis ? N’est-ce pas dans les rangs mêmes de ces chapelles de l’emprise spirituelle voire sexuelle – je pense par exemple à toutes ces “communautés nouvelles” déviantes – qu’a été exploitée et renforcée l’idée d’un Dieu magnanime “qui pardonne tout, absolument tout” ?
Pour moi, confiante tout autant dans le Dieu de l’Ancien Testament que dans la parole de Jésus, je considère qu’on nous sert de nos jours un langage trop édulcoré et mensonger sur le sens de la justice de Dieu. Elle ne saurait pourtant être inférieure à la justice des hommes. De tout temps, Dieu a pris parti pour victimes et opprimés, et non pour prédateurs et oppresseurs. Jésus est mort sous les coups de l’injustice et de la méchanceté de ceux qui étaient jaloux de leur pouvoir spirituel et temporel. Et on voudrait nous faire croire que son Père couve des mêmes yeux amoureux sa brebis au couteau planté dans le cœur et le bourreau qui a agité le poignard dans l’indifférence à la souffrance et à la mort de sa proie ?
Si d’aucuns se délectent à la pensée d’un Dieu qui ouvrirait ses bras avec le même sourire magnanime face au criminel et à sa victime, moi non. On ne me fera jamais croire que là où la justice humaine est trop souvent défaillante, celle de Dieu le serait encore davantage.
Image : Caïn et Abel Palma le Jeune, XVIe
5 commentaires
Bonjour Véronique. Comme j’apprécie votre talent pour ouvrir des débats intéressants, dans un grand tumulte d’interrogations et d’interpellations ! Je partage votre avis : se déclarer “tous pêcheurs”, sous son aspect faussement miséricordieux, nous entraine sur la pente glissante du relativisme moral et de l’indifférence au mal. D’Hitler à l’enfant qui vient de naître, “tous pécheurs” ne nous apprend rien sur la sombre culpabilité du premier et l’innocence du second, c’est vrai ! Le synonyme du mot “péché”, c’est la finitude: Je veux dire par là que l’humain est fondamentalement imparfait. La preuve : il a un début et une fin, ses sens sont limités, ses moyens physiques aussi, sans parler de son intellect, si ignorant et si facile à tromper. Il est facilement gouverné par l’égoïsme, si problématique pour les animaux sociaux que nous sommes. Le monde est devenir, le mal semble y triompher continuellement, le péché est horriblement banal, du plus véniel au plus effroyable. Dieu à-t’il fait exprès de vouloir ce monde-là ? Vertigineuse question ! D’où l’invention du péché originel… Basé sur le regret éternel d’un monde mythique gouverné par la grâce, grâce dont l’homme se serait coupé en commettant une transgression originelle. Si la femme engendre désormais dans la douleur, ce serait à cause d’une transgression originelle, et pas d’une bizarrerie de l’évolution… Faut-il encore y croire ? Mais quant à la gradation dans le mal, oui, c’est un devoir de combattre le mal, de crier son indignation, d’empêcher sa propagation, d’en protéger les plus faibles. Maudit soit celui qui déserte ce combat. Et n’oublions pas que si le péché à abondé, la grâce à surabondé, mais j’ajouterai : A CONDITION QUE L’HOMME S’Y EMPLOIE DE TOUTES SES FORCES. Nous sommes les instruments de Dieu… Il y a un temps pour l’abandon, il y a aussi un temps pour se relever les manches. N’oublions pas que nous seront jugés sur l’amour, et lutter contre le péché, en nous comme chez les autres, c’est le premier “chantier d’amour” où nous sommes attendus. Et il y a du pain sur la planche… Bien affectueusement.
Il y a un mélange de 2 notions, l’état de pécheurs et les péchés.
L’etat de pécheur ca veut dire que tous et spontanément, nous sommes portés à vouloir être plus que les autres , à prendre le pouvoir sur les autres, à vouloir s’approprier ce qu’ils ont, à vouloir régler les conflits par la force. Tous y compris Jésus, c’est ce que révèle l’épisode des tentations au désert. Apres il y a aussi en nous l’Esprit de Dieu qui nous amène à voir les autres autrement. Et c’est ce que nous faisons de cet Esprit de Dieu, à l’oeuvre en nous ou relégué aux oubliettes, qui fait la différence entre les uns et les autres, et entre nous et Jésus qui a pleinement permis à cet Eprit de Dieu d’agir en lui.
Bonjour Paul, merci pour votre contribution, avec laquelle je ne suis cependant pas vraiment en accord.
Vous écrivez : ” tous et spontanément, nous sommes portés à vouloir être plus que les autres , à prendre le pouvoir sur les autres, à vouloir s’approprier ce qu’ils ont, à vouloir régler les conflits par la force.”
Je ne pense pas. Peut-être est-ce un travers que vous ressentez profondément en vous-même, et vous en faites une généralité. Et si la théologie en a fait une généralité, c’est peut-être également parce qu’elle a très longtemps été pensée uniquement par des hommes ressentant ce même clivage en eux-mêmes.
On peut, de nature, ne pas être porté à vouloir “être plus que les autres , à prendre le pouvoir sur les autres, à vouloir s’approprier ce qu’ils ont, à vouloir régler les conflits par la force.”
Et si cela vous semble impossible, c’est peut-être parce que vous n’êtes pas une femme qui, parfois- je n’ai pas dit toujours ni automatiquement – est spontanément dans des dispositions d’amour du prochain, d’humilité, dénuée d’envie ou de jalousie et foncièrement non-violente.
Quant à Jésus , ce n’est pas l’Esprit qui le rend foncièrement différent de ses frères en humanité, mais sa nature même de Fils de Dieu né d’une femme et sans géniteur masculin de qui il aurait pu tenir des prédispositions à pécher de ces manières que vous définissez au demeurant très bien.
En fait tout himme est aime de Dieu, rt cet amour l induit a ne pas pêcher ….Et ce n est pas si simple…..
Et ou commence l ignominie d actes pervers, et pourquoi ne sont ils pas freines, voire aneantis par ce fameux amour ?
Pourquoi ?
Mais parce qu’il existe ici-bas une puissante force contraire à l’amour de Dieu ! En ce temps de carême, c’est bien le moment de méditer à ce sujet !
Cette force qui s’empare des âmes envieuses, concupiscentes, manipulatrices, égocentriques, indifférentes à leur prochain, à ses besoins et son fonctionnement propre, cette force qui rencontre le narcissisme des âmes complaisantes avec elle, appelez-là comme vous voulez, esprit contraire, esprit du mal, diable, diviseur ou Satan, peu importe, mais cette force existe ici-bas et elle est puissamment à l’œuvre, en particulier dans l’entourage proche des personnes en recherche de sainteté !