Nos mamans respectives étaient enceintes de nous deux en même temps, avec deux mois d’intervalle seulement, dans le même village. Et dès mon entrée à l’école maternelle, elle fut là, avec ses longs cheveux noirs qui encadraient son beau visage. Solaire, déjà, elle savait s’entourer des meilleurs camarades, dans cette nombreuse promotion qui n’a pas laissé un mauvais souvenir à nos maîtres et maîtresses, de leur propre témoignage. Nous étions environ vingt-cinq, filles et garçons, une joyeuse troupe unie pour le meilleur et pour le rire pendant les sept années de notre scolarité dans les écoles de notre village. Elle n’était pas ma meilleure amie, non, mais une copine de toujours, oui. Je me souviens d’un jour où elle m’avait invitée chez elle, et nous avions écouté sur un vieux tourne-disque des 45 tours yéyé qui avaient appartenu à ses parents. Des premiers titres de Johnny Halliday qui a été son idole longtemps à “Petit bikini” interprété par je ne sais plus qui, nous nous amusions de ces années déjà révolues qui avaient fait danser nos jeunes parents.
Au collège, la classe d’école primaire fut disloquée, et pour la seule année de ma scolarité, elle ne fut pas dans ma classe en 6ème. Et puis s’en sont suivies de nouveau six années à partager les mêmes camarades de collège et de lycée et les mêmes professeurs. Nous avions choisi la même filière de bac littéraire, passionnées toutes les deux de lettres et de langues étrangères. On s’amusait un peu de cette espèce de super glue qui nous attachait l’une à l’autre de classe en classe, et ce n’était pas toujours le beau fixe entre nous deux à l’adolescence, tellement nous étions différentes. Extravertie, sociable, joyeuse, elle faisait partie de ces filles assez libres des années 70 et 80, qui aimaient, en cercle dans la cour du lycée, se passer de l’une à l’autre une précieuse cigarette en évoquant leurs flirts et leurs escapades. D’ailleurs on la voyait souvent sillonner les rues du village sur une jolie Vespa gris argent. Moi j’étais une jeune fille élevée de façon sage, allant bien plus souvent à l’église que dans un “troquet” avec des amis, et parfois, j’en subissais ses railleries, passant pour la coincée de la classe. Mais jamais il n’y a eut de conflits francs entre nous, tout au plus de l’incompréhension et des taquineries de bonne guerre à cet âge où l’on se cherche…
Les études nous séparèrent “enfin”, plaisantions-nous, elle prit la direction de la fac de langues étrangères appliquées tandis que j’entrai à l’Ecole Normale d’instituteurs.
Ensuite, nous nous sommes revues épisodiquement quand nous nous trouvions l’une et l’autre en visite familiale dans notre village natal. Elle était devenue une femme ravissante, toujours cette longue chevelure noire qui la caractérisait, une élégance naturelle, une aisance sociale qui ne laissait aucun doute sur son excellence dans son emploi dans l’événementiel d’une grande société. Je lui semblais encore la jeune femme sage et rangée comme je l’avais toujours été à ses yeux, mariée, trois enfants, tandis qu’elle paraissait toujours libre comme l’air.
Et puis elle fut maman d’une ravissante petite fille à 43 ans. Et je crois pouvoir dire que cela nous a rapprochées. Je la voyais sortir sa fillette du siège auto quand elle allait voir ses parents et moi ma sœur avec mes enfants déjà ados, et nous échangions sur ce bonheur de voir grandir nos enfants. Elle m’avait dit à cette occasion qu’elle n’en revenait pas qu’une femme comme moi ait divorcé. Mais les projections adolescentes ne nous épargnent pas les épreuves de la vie…
En 2014, à l’occasion de nos cinquante ans, elle s’est démenée pour réunir notre classe d’enfance pour un samedi en commun dans notre village natal, beaucoup ont répondu présents, y compris notre couple d’instituteurs qui nous a tout appris au long de quatre années. Emotion des retrouvailles, joyeux dîner, nous lui devons une soirée mémorable qu’elle avait organisée avec brio. Elle aurait rêvé d’en faire de même pour notre classe de lycée, mais, entre changements de noms et de lieux de vie, les “biches” que nous avions été les unes pour les autres de la seconde à la terminale étaient plus difficiles à retrouver toutes.
Ces dernières années, elle a eu la douleur de perdre ses deux parents, et voilà qu’on se croisait au cimetière, à fleurir nos tombes respectives…
Mais quelle douleur, il y a plusieurs trimestres, quand j’ai appris par ma sœur que cette amie de toujours était atteinte d’un cancer de pronostic sinistre… Que d’angoisse pour elle, que de prières, que de vœux qu’elle se rétablisse, que de compassion pour sa fille unique encore adolescente…
Et puis, la fin des espérances de mieux il y a trois semaines, quand j’ai su qu’au lendemain d’une petite fête pour ses 60 ans, elle entrait en soins palliatifs… Larmes et prières, prières et larmes, jusqu’à l’annonce de son décès cette nuit du grand passage du Vendredi Saint… Oh Samedi Saint de deuil et de chagrin, que de souvenirs joyeux révolus et que de peine pour cette vie trop tôt fauchée, pour ses proches dans une indicible tristesse…
Demain, il sera trop tôt pour la joie de Pâques, la blessure est encore trop vive, l’A-Dieu est encore à vivre, dans le deuil et l’affliction.
Trouve la paix de l’âme ma si belle, ma bien-aimée Marie-Chantal, laisse-toi porter dans le sillage du ressuscité, laisse-toi élever jusqu’à Lui, toi qui as partagé son agonie et goûté à sa croix…
Il est encore trop tôt pour l’exultation de Pâques, mais nous reste l’espérance, l’inaliénable espérance de ton repos et de ton intercession aimante désormais, de là où tu seras, pour ceux qui te pleurent.
Envole-toi.
Véronique
En hommage, ce souvenir de 2014 https://www.histoiredunefoi.fr/blog/4522-retrouvailles
1 commentaire
Pareil pour moi, avec un ami de 40 ans parti bien trop tôt. C’est face à ces deuils-là qu’on se rend compte de deux choses : au virage de la soixantaine, nous avons bien de la chance d’être à peu près exempt des maladies “au pronostic sinistre”, comme tu le dis si bien. Et en même temps, certains nous on précédés dans l’éternité, dans la gloire, dans une vie nouvelle, presque inconcevable. Est-ce de la chance ? Est-ce une grâce ? Est-ce un destin ? Ils (ou elles) s’en vont, et nous, nous restons. Seule la connexion des âmes nous maintien en contact. Dans l’ombre, aux moments d’incertitudes, une question, de notre part, fuse : “qu’est-ce que tu aurais fait à notre place ?”. La réponse viendra, inévitablement… Les morts nous aiment, parce qu’ils sont dans la Vraie Vie. Prière et fraternité.