L’idée m’était venue lors de mes travaux d’automne au jardin l’année dernière. Tout un été sans sortir une seule fois un transat de la cabane de jardin, du labeur encore et encore sur ce grand terrain qui faisait à la fois mon bonheur et ma contrainte. Un jardin paysager et un potager ne sont beaux et productifs que si on s’attelle à la tâche chaque jour.
Les travaux d’automne – sortir les bulbes, arracher les fleurs d’été, rentrer les jardinières au garage pour l’hivernage, amender les massifs et carrés potagers au compost qu’il faut aller chercher en creusant à la pelle et à la fourche-bêche, souffler et broyer les feuilles tombées… – ont toujours été les travaux de jardinage qui me pesaient le plus, à cette période de l’année où l’on se prépare dépité à cinq longs mois d’hiver dans le Grand Est. Novembre arrivant, j’ai toujours eu un coup de blues, ne voyant pas le bout de cette interminable traversée avant les premières fleurs, enfin, et les rayons de soleil un peu plus chauds de mars-avril. Il nous fallait d’abord affronter les gelées, le brouillard, la nuit tombée à 16h30 en décembre, et ces hivers du réchauffement climatique devenus détestables à force de tempêtes de pluie et de vent, le beau froid sec et la neige consolants n’étant plus qu’un rare événement ces dernières années. Ma belle Alsace d’adoption perdait singulièrement de son charme à mes yeux une fois la forêt et la vigne dépouillées de leurs flamboyantes parures automnales. J’avais beau adorer mon petit coin de nature au paysage montagnard exceptionnel, affronter encore et encore ces longs semestres de mauvais temps me décourageait.
En sueur après avoir charrié et répandu sur les massifs plusieurs brouettes de compost, je me suis posée sur le canapé et le questionnement m’a pris : à quoi bon m’obstiner à demeurer dans cette maison dans laquelle, à l’évidence, je ne pourrais envisager sur le long terme de vieillir seule, entre les tâches incessantes du jardin, les travaux d’entretien qui ne manqueraient pas de s’imposer chaque année, les deux escaliers raides que j’étais contrainte de parcourir du matin au soir des chambres aux pièces de vie et au sous-sol, le temps passé presque chaque jour dans ma voiture depuis ma retraite pour me rendre à mes activités favorites à plus de vingt kilomètres de la maison… Fatigue, conduite de nuit, frais conséquents de carburant, cela finissait par ne plus avoir de sens.
Et puis ce vague mal-être en Alsace depuis toujours, ce sentiment de demeurer une personne “pas du cru”, cette appartenance moquée à ma région lorraine d’origine, et le souvenir cuisant de mes dernières luttes professionnelles contre injustice et harcèlement, là sur les lieux de l’école de ce village avec lequel j’avais perdu le goût de partager mon quotidien, jusqu’à la paroisse catholique dans laquelle j’avais été présente et investie si longtemps, et qui m’avait vue m’éloigner sans me témoigner vraiment de regrets de ce départ…
Bref, là sur mon canapé, au soleil déclinant, je me sentais envahie de toutes les raisons de partir…
Une ville avait conquis mon cœur depuis sept ans que ma plus jeune fille y résidait, d’abord pour ses études, puis pour y demeurer au long cours : Toulouse. Toulouse et la Garonne serpentant au long de ses quais pleins de vie, Toulouse la lumineuse quand le soleil brille ou se couche derrière de Dôme de la Grave, Toulouse la cosmopolite où l’on n’est pas regardé de travers quand on diffère, Toulouse qui résiste aux sirènes de l’extrême-droite, Toulouse la vivante qui grouille de jeunes et d’étudiants heureux de passer là quelques années, Toulouse et ses infrastructures qui me manquaient tant au quotidien dans ma vie montagnarde, Toulouse où il n’est pas illusoire d’espérer prendre un café en terrasse en février-mars…
Machinalement, j’ai regardé les annonces immobilières pour me faire une idée de ce que je pourrais y acquérir en vendant ma maison. Et peu à peu, d’annonce en annonce, mon envie m’a parue réalisable. Un bien contre un autre. En mettant en vente ma maison d’Alsace, mon unique patrimoine si durement acquis, je pouvais ambitionner un appartement quatre pièces dans un quartier qui ne soit pas à l’hypercentre de Toulouse mais agréablement situé et bien desservi par les transports en commun, avec la proximité immédiate de nombre de commerces. Ce qui représenterait pour moi un changement de vie radical, et une excellente anticipation des années où j’allais forcément vieillir..
Après, tout est allé très vite. Un déplacement de quelques jours à Toulouse fin novembre et des rendez-vous pris pour visiter une sélection d’appartements. Tout de suite, un très gros coup de cœur pour un rez-de-jardin de plain-pied où je me suis immédiatement projetée, imaginant même mes trois chats qui pourraient, là, être heureux et encore moins en danger que dans mon lotissement alsacien. De l’espace, de la verdure, pas de route passante, aucun bruit urbain et aucun vis-à-vis pour gêner la quiétude d’une vie toute simple et cependant urbaine.
Autant dire que les autres visites ne m’ont apporté que des contre-arguments.
Tout n’a pas été simple, mais tout m’a réussi. Au printemps, dans le même mois, j’ai signé un compromis de vente pour ma maison et acquis l’appartement qui m’avait séduite. Et comme il arrive souvent dans ma vie, le “hasard” qui n’en est pas un a fait qu’étonnamment, les deux biens se vendent, après négociations, à l’euro près au même prix ! Certitude d’avoir suivi la route tracée pour moi par la Providence…
Me voilà donc dans mon nouveau chez moi depuis deux semaines, un peu fatiguée après six mois de tri intense, d’allers-retours en déchetterie, de cartons, de déménagement en plusieurs étapes, de déballage, de rangement, de prise de nouveaux repères…
Je me sens à ma place, installée de manière durable, et mes chats s’adaptent mieux que je ne le pensais. Je m’intègre déjà à une paroisse protestante qui m’a accueillie on ne peut plus chaleureusement. Déjà des visages connus, des noms qui s’ajoutent dans mon répertoire téléphonique, des promesses de visites, des contacts qui se multiplient…
Je vais attendre septembre pour reprendre des activités suivies, mais je suis d’ores et déjà persuadée que j’ai fait le bon choix. J’aime mon nouveau cadre de vie, et ma voiture y prend un peu de repos. La jeunesse et la joie de vivre de ma fille, de son compagnon et de leurs amis égayent certaines de mes journées. J’ai le goût de partir à la découverte de ce Sud-Ouest que je connais si mal, et pour cause : il était si loin du Grand-Est !
Voilà donc la France traversée en ligne transversale pour un nouveau départ qui m’enthousiasme, et de nouveaux défis à relever qui m’empêcheront définitivement de sombrer dans la routine et l’ennui !
2 commentaires
Un grand saut, que je comprends mieux en te lisant, sans être étonné cependant. Il y a 8 ans, nous avions fait un voyage du même genre, même si d’un point de vue objectif, il n’était que de 6 km ! Mais une autre culture, une autre langue, d’autres amis, d’autres projets… le bonheur. Dans mon cas, celui-ci s’est un peu assombri par le départ non prévu de ma compagne de route. Et ce n’est plus la même chose, mais je n’ai jamais regretté un seul instant d’avoir décidé de changer d’univers. Que tout se passe bien pour toi !
Savoir décider avant que les évènements (de toutes sortes) ne décident pour vous : bravo Véronique, c’est assurément le bon choix !