Une grande place rose de monde, car au Rose Festival de Toulouse, il est de coutume de porter la couleur de la ville, le ciel bleu, comme très souvent ici, et la fébrilité palpable. On a pris un billet pour tel ou tel artiste se produisant aujourd’hui sur l’une des deux grandes scènes ou sur celle, plus intime, d’une “Place Saint-Pierre” harmonieusement reconstituée de tentures roses comme il se doit. J’arrive vers 17h avec une jeune amie rencontrée dans ma paroisse, une future pasteure allemande en stage pour l’été à Toulouse avec laquelle la connexion amicale a été immédiate, nous avons vécu maints événements et sorties ensemble ces deux derniers mois et elle m’accompagne ce soir de manière un peu improvisée, mon amie initialement détentrice du billet d’entrée n’ayant pu faire ce déplacement.
Nous sommes enthousiastes et découvrons toutes deux pour la première fois l’ambiance chaleureuse du Rose Festival, mon amie veut découvrir les talents de ma fille chérie qui se lance dans une carrière de chanteuse débutée ici à Toulouse sous le nom de Blue Jay, et qui se produit ce soir sur la petite scène malheureusement exactement à la même heure que le grand Francis Cabrel pour lequel je suis venue. Choix qui me coûte, j’aurais voulu voir et applaudir ma fille, mais j’ai fait choix depuis plusieurs mois de m’offrir le premier concert de Francis Cabrel de toute ma vie !
Je me souviens de ce qui fut peut-être son premier passage à la télévision, sans doute un dimanche après-midi avec Jacques Martin que nous regardions immanquablement, j’étais adolescente et j’avais été conquise par sa chanson “Les murs de poussière” et son look christique. Mon goût pour ses chansons, ses mélodies, son style ne devaient plus me quitter. Cela fait donc plus de quarante ans que j’écoute ce chanteur capable de ciseler les mots comme personne, poète, troubadour, musicien de génie, homme aux valeurs belles qui a su se tenir à l’écart de tous les excès du show business redoutables dans toutes ces années-là. Francis Cabrel est un poète des temps modernes, un homme vrai, et je le sais maintenant, un artiste des plus simples et des plus généreux.
Presque deux heures d’enchantement offertes jeudi soir à un public absolument conquis, des plus jeunes aux plus âgés, tous reprenant en chœur ses paroles et ses mélodies déjà passées dans le patrimoine musical français. J’étais fort surprise que la jeune génération des festivaliers connaisse aussi bien ses textes. Moment de communion rare, instant de grâce, quand une foule est portée par la beauté de la musique. Francis Cabrel n’hésite pas à nous offrir les titres les plus connus que nous attendions évidemment, il a dû déjà les interpréter mille fois sur scène, mais il nous en fait néanmoins cadeau d’emblée quand il apparaît vêtu d’une chemise bleue à petites fleurs sous les acclamations d’un public impatient.
Deux heures de bonheur, de partage, de connivence entre l’artiste et la foule compacte. Ses musiciens et ses choristes sont tous excellents, chacun étant mis tour à tour en valeur. Les chansons s’enchaînent avec harmonie, savante succession de titres très connus et des compositions plus récentes. On vibre, on chante, on ovationne, on applaudit, on voudrait avoir pour ami un homme si humble et si généreux. Nous ne le laissons pas quitter la scène et il nous offre sans hésiter quatre ou cinq bis. Il n’y aura qu’un magnifique feu d’artifice pour nous détacher de la scène et nous arracher au regret que la célébration musicale soit déjà finie.
Je repars le cœur gonflé de joie avec mon amie qui, d’Allemagne, connaissait certains de ses titres sans avoir pu jusque là mettre de nom sur leur auteur. Il faudra endurer une heure de bouchons dans le parking aérien, mais dans les voitures, Cabrel résonne encore aux autoradios et les moins grincheux des automobilistes le chantent à tue-tête.
Je suis pleine de gratitude, pas comme une midinette fan inconditionnelle, mais comme une personne ayant rencontré une autre personne après plus de quarante ans d’estime et de reconnaissance pour son talent, son professionnalisme et sa belle humanité.
Francis Cabrel est de ces hommes qui nous réconcilient avec le genre humain.
Véronique Belen
31 août 2024