On m’a beaucoup reproché sur les réseaux sociaux depuis quelques mois que je pratique ma foi en Eglise protestante de “cracher dans la soupe”, à savoir de remettre en question certains fonctionnements récurrents dans l’Eglise de mon baptême et de presque six décennies de pratique régulière, sans compter celle de tous mes ancêtres, tous d’humbles catholiques pratiquants en milieu rural et ouvrier. Ce sont peut-être d’ailleurs mes origines sociales modestes qui m’ont occulté quelque temps les graves dysfonctionnements que l’on retrouve dans la plupart des paroisses catholiques, du moins en France, et dans cette Eglise en général du point de vue de son fonctionnement pastoral et hiérarchique. Je crois bien que si j’avais été de milieu bourgeois, j’aurais supporté encore bien moins le manque de foi palpable et l’opportunisme de ce milieu.
Mon propos n’est pas de dénoncer pour détruire, mais plutôt de constater des faits pour expliquer la désaffection chronique des églises catholiques au regard de la proportion de ses baptisés.
Je peux aujourd’hui, à cet égard, établir un parallèle saisissant entre ma période de “recommençante” dans la fin des années 1990 et ce que vit actuellement l’aînée de mes filles au même âge que moi à cette époque, soit le début de la trentaine. Animées toutes deux d’une foi à toute épreuve dans le Christ Jésus et son Evangile, ardentes chrétiennes en quête de manières de célébrer authentiques, ma fille chérie, tout comme ce fut le cas pour moi, se heurte actuellement à l’incompréhension des fidèles catholiques vieillissants qu’elle rencontre sur son chemin de foi riche d’expériences très diverses, à la mesure de son cœur ouvert sur le vaste monde.
Je me souviens de ma première grande déception : réintégrant une paroisse catholique là où je vivais en 1997, je revenais vers l’Eglise dans un immense bouillonnement de foi après quinze années d’agnosticisme qui avaient été pour moi une épreuve majeure. Mes aînés avaient alors sept et cinq ans, et leur père et moi, non mariés religieusement par choix raisonné sept ans plus tôt, décidâmes de les présenter au baptême. Nous sommes allés pleins d’attente vers le curé de cette paroisse, un homme très bon mais vieillissant et atteint d’une maladie qui l’emporterait quelques années plus tard. Mais alors que j’aurais eu mille choses à lui dire sur ce retour jaillissant de ma foi au Christ, il ne nous posa aucune question, ne s’enquit même pas des modalités de notre mariage – et j’aurais eu tant à lui en dire sur le conflit familial qu’avait généré notre choix d’un mariage uniquement civil pour ne pas galvauder un sacrement qui ne suscitait pas notre adhésion à ce moment-là ! – non, il prit son registre, y inscrivit le nom de nos enfants et demanda quelle date nous avions choisie pour ce double baptême, puis entonna avec joie : “Tu es devenu/e enfant de Dieu” que nous chanterions ce jour-là. C’était beau et touchant, mais je suis demeurée dans une faim intense mais non rassasiée de dialogue et d’échange sur ce qui avait motivé notre choix assez tardif.
La suite de ma vie paroissiale ne fut guère plus satisfaisante. Dès les premiers dimanches de présence à la messe, je ne fus guère accueillie pour ma personne, mais assez vite repérée comme une petite main pastorale potentielle. J’avais le profil idéal : jeune femme mariée avec bientôt trois enfants et en outre institutrice, je fus immédiatement estampillée catéchiste potentielle. En vérité, ma foi n’intéressait personne. Mais comme animatrice de groupe de catéchèse, j’étais plus que bienvenue… alors que c’était là la fonction dans laquelle personnellement je me projetais le moins, passant déjà toutes mes journées avec des enfants à l’école et à la maison. Bref, très vite, on me confia un groupe d’adolescents “profession de foi” dont personne en l’occurrence ne voulait car il comptait des garçons très perturbateurs et dans l’ensemble aucune motivation à entrer en catéchèse.
Ayant eu d’emblée des reproches par un responsable de salle sur le comportement d’un ou deux garçons – ils avaient touché au piano de l’école de musique en arrivant , ô scandale ! – et comme on voulait m’imposer des contenus bateaux auxquels je n’adhérais pas du tout (liberté, drogue…) alors que je recherchais des manières concrètes de les faire entrer dans l’Evangile – “On ne va pas les embêter avec l’Evangile” m’avait rétorqué la responsable des jeunes du doyenné – je rendis assez vite mon tablier et fus pour le reste de ma vie paroissiale considérée comme une personne fragile…
On me sollicita néanmoins pendant des années encore, un peu plus tard, pour encadrer les futurs communiants, les futurs baptisés d’âge scolaire, encore plus tard pour entrer à l’EAP (Equipe d’animation pastorale) ou à la chorale paroissiale, jusqu’à la fonction de sacristine car j’étais la paroissienne la plus présente aux messes. Et quand je déclinais certaines de ces propositions, j’avais droit au reproche d’être dans le “non” à Dieu au contraire d’une Vierge Marie réputée accepter toutes les besognes. Mon argument de ne pas sentir de la part de Dieu ces appels-là ne tenait pas : obéir à Dieu étant, pour les catholiques, obéir aux appels de l’Eglise.
Tandis que là où je m’épanouissais – groupes de partage biblique – j’étais jalousée, de l’aveu même d’une paroissienne très investie, pour “mes connaissances en Bible” !
Bref, un vécu douloureux à travers lequel je devais mesurer le peu d’expression de la foi des paroissiens même les plus engagés, et à quel point en Eglise catholique on est vu comme une main d’œuvre potentielle pour faire tourner une paroisse dans la distribution des sacrements, attendu qu’on ne voit les enfants de la première communion et les jeunes couples que l’année de la préparation au jour J, qui signe par ailleurs la plupart du temps leur disparition de la messe dominicale.
Je reprécise à ce titre que je n’ai vécu qu’en paroisse catholique rurale à la fréquentation modeste et jamais en milieu urbain conservateur voire traditionaliste – Dieu m’en a gardé !
Ce long développement pour souligner que mon expérience n’est ni singulière, ni révolue : en effet, voici que ma fille trentenaire, trois décennies plus tard, vit des contradictions comparables. Ce qu’elle m’en raconte me désole mais ne m’étonne pas. Après des années de mise en sommeil de sa foi, ou du moins de sa pratique, elle retrouve une très forte impulsion à dire son bonheur de croire au Christ, l’amour de sa Parole qui l’anime au quotidien, elle veut chanter son Seigneur et sa joie, célébrer Dieu dans des églises ou des assemblées, tout comme elle vit profondément l’Evangile dans un métier des plus utiles à la personne humaine.
Et voilà qu’aperçue depuis peu dans des églises catholiques, jeune, dynamique, chantant bien et lisant bien, des sortes de dames patronnesses cherchent à la recruter ! Est-elle présente à une soirée de louange d’une communauté des gens du voyage, on la prend aussitôt à part pour lui demander si elle ne viendrait pas aux messes du dimanche matin. Oh ce n’est pas pour sauver son âme, mais pour la récupérer comme choriste ou lectrice !
Par chance, ma fille a de l’aplomb, et elle sait aussi par où sa maman est passée. Elle répond donc du tac au tac :
“Non, moi je prie avec le groupe Taizé du dimanche soir”.
Oecuménisme plus que nécessaire dans son ardent souci de s’ouvrir aux croyants de toutes confessions.
Elle me relate les frilosités des soirées bibliques auxquelles elle participe, et sa parole vive qui tranche voire incommode. Une brave dame ne lui a-t-elle pas suggéré de moins intervenir à la prochaine réunion / conférence de l’Avent ?
Elle revient bouleversée de sa soirée de louange avec des manouches catholiques, et me dit à quel point elle a ressenti leur foi vive, tandis que le ronronnement des paroisses habituelles l’exaspère…
Qu’est-ce donc qui a évolué, en trente ans, je me le demande ?
La petite baptisée de Pâques 1998, qui avait été inscrite machinalement sur un registre paroissial, a fort heureusement bénéficié à l’époque, à cinq ans, d’une préparation au baptême avec une catéchiste exceptionnelle qui allait devenir notre amie commune, “Un évangile sur pattes”, comme dit ma fille avec humour quand elle parle d’elle, pleine de gratitude.
Oui, dans cette toute jeune âme, le bon grain de l’Evangile vécu avait été semé.
Il me reste à espérer que sa fougue chrétienne perdure, et que les grenouilles de bénitier la laissent vivre sa pratique comme elle l’entend et comme la Trinité le désire pour elle et pour le monde auquel elle veut partager le feu de sa foi.
Nous en arrivions, hier soir, après un long dialogue au téléphone sur ses pérégrinations variées dans le pas du Christ, à cette triste conclusion : l’une et l’autre, nous constatons en catholicisme de paroisse une foi terne, ritualiste, essentiellement concentrée sur la liturgie et son déroulé saisonnier, peu ouverte aux Ecritures dans leur subversion intrinsèque, une foi en berne qui regarde les âmes de feu avec suspicion, et tout de même, il faut bien se l’avouer, une bonne dose d’hypocrisie.
J’ai toujours défendu l’idée que de nos jours, l’Eglise catholique romaine et le Christ, ce n’est plus tout un, contrairement à ce que pouvait suggérer une Jeanne d’Arc dans les années d’avant la Réforme.
Non, ne pas répondre positivement à un appel paroissial qui ne correspond pas à ce qui nous anime tout au fond du cœur, ce n’est pas dire non à Dieu.
Et non, donner sa vie en service d’Eglise, ce n’est pas forcément donner sa vie à Dieu.
Donner sa vie au Christ, à l’Evangile, au Père, c’est brûler d’amour pour la Parole et déployer son zèle pour les faire connaître, de même que désirer le salut d’autrui.
Cela doit-il passer par la médiation d’une seule Eglise au détriment de toutes les autres expressions de la foi en Dieu ?
Honnêtement, plus j’avance en vie spirituelle et en âge, et plus je m’éloigne de cette idée somme toute bien sectaire.