En France et au-delà, le week-end des 7 et 8 décembre 2024 aura été marqué par la réouverture de Notre-Dame de Paris, sublimement restaurée, éblouissante de beauté et de lumière après ce grand traumatisme de l’incendie du 15 avril 2019 qui m’a profondément marquée, comme tout un chacun. Je remets en lien l’article que j’avais rédigé sur mon blog dans ces jours de deuil pour Paris, la France, la communauté catholique et au-delà, la chrétienté et même l’ensemble des croyants. Chacun perdait quelque chose de son patrimoine et d’un recoin de son âme dans les décombres de la cathédrale incendiée, suppliciée.
https://www.histoiredunefoi.fr/blog/10290-de-la-lumiere-aux-flammes
Il y a donc mille raisons de se réjouir de sa restauration en cinq années, à la faveur d’un élan de générosité mondial, et quelle réussite ! L’hommage appuyé samedi soir, dans ses murs sublimés, aux pompiers sauveurs et aux artisans virtuoses était amplement mérité. C’était jour de fête, et bien des grands de ce monde avaient fait le déplacement vers Paris pour célébrer Notre-Dame re-née de ses cendres.
J’ai suivi, comme beaucoup, avec attention et émotion, les reportages, cérémonies et spectacles donnés à la télévision toute la journée de samedi. Mais non la messe à Notre-Dame dimanche matin, car j’avais mes propres engagements : le culte en la paroisse protestante réformée dans laquelle je pratique ma foi depuis six mois, nous organisions à l’issue de ce culte un marché de Noël et j’y apportais ma contribution sous forme de petits gâteaux de Noël alsaciens réalisés avec patience ces derniers jours.
Contraste saisissant entre les fastes déployés à Notre-Dame et notre temple dont les pierres et les finances souffrent.
Je viens du Grand-Est, de ces trois départements sous Concordat – La Moselle où je suis née et ai grandi, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin où j’ai vécu presque trente ans – là où les églises sont bien entretenues car subventionnées et les prêtres rémunérés par l’Etat. Je ne suis guère habituée à ce délabrement des lieux de culte et à cette précarité financière des paroisses. Je mesure mieux, ici à Toulouse où je vis depuis l’été, l’effort consenti par les fidèles pour conserver des églises et des temples dignes de leur foi et pour rémunérer et loger leurs pasteurs.
J’en reviens à Notre-Dame de Paris, haut-lieu de France et phare pour la célébration de la foi au Ressuscité. J’ai conçu un regret lors des différentes cérémonies. Le parterre d’invités était certes cosmopolite, regroupant toutes origines, toutes nations, toutes confessions religieuses ou absence de confession. Mais les cérémonies étaient catholiques, exclusivement catholiques. Défilé de clercs masculins en chasubles, rituels catholiques avec un évêque qui “dialoguait” avec la cathédrale devant ses portes puis avec l’orgue en s’adressant à des objets par le “tu” pour les bénir, déroulés selon les rites catholiques romains… Je suis évidemment consciente qu’il s’agissait, samedi soir, de remettre un bâtiment patrimonial d’Etat à l’administration cultuelle d’obédience catholique romaine selon la tradition, mais quelle occasion manquée d’injecter dans la cérémonie un peu d’œcuménisme ! Certes, il ne s’agissait pas d’une messe. Mais tout ruisselait de tradition catholique romaine, exclusivement ! Et j’ai relevé que samedi soir, la lecture de l’Evangile avait été omise. L’Evangile serait-il un point de friction avec le parterre de “grands de ce monde” présent ce soir-là ? Est-il souhaitable de célébrer Notre-Dame, mère de Jésus, en omettant la Parole du Fils de Dieu ?
Il me reste de ces deux jours de célébrations certes de l’éblouissement et de la joie pour la beauté reçue, mais aussi un pincement au cœur devant ce sempiternel orgueil catholique romain qui se prétend unique représentant légitime de la chrétienté. L’Eglise catholique romaine usurpe encore et encore l’appellation d'”universelle” alors qu’elle tend à oublier qu’elle ne l’est pas. Toujours, elle est travaillée par un désir de prosélytisme, elle veut multiplier ses baptisés – noble cause au demeurant – mais aussi ses fidèles exclusifs.
J’ai lu bien des choses depuis samedi, bien des fiertés catholiques exprimées, bien des désirs que l’Eglise catholique de France retrouve de sa superbe après avoir été sérieusement mise à nu sous un bien mauvais jour par le rapport de la CIASE il y a trois ans. On a déroulé les plus beaux tapis dans une cathédrale nettoyée de ses cendres et de ses poussières, mais de là à laisser penser qu’il n’y en a plus sous la chape de plomb d’une institution coupable de compromission avec le mal ?
Expérience un peu étrange pour moi que d’assister à ce déferlement de somptuosité catholique alors que je revenais du cinéma où je suis allée voir le film “Conclave” d’Edward Berger, que je vous recommande. On m’objectera que c’est une fiction inspirée du roman éponyme. Certes. Mais les arcanes du Vatican ne sont probablement pas très éloignées des mesquineries auxquelles on assiste dans ce huis-clos étouffant. Tous ces clercs masculins rassemblés là rivalisent de carriérisme et de péché. Un exemple édifiant de ce que peut engendrer comme manœuvres délétères et comme manifestations d’orgueil exacerbé une société qui exclut de ses rangs toutes les femmes.
Alors bien sûr, aujourd’hui, l’Eglise catholique romaine se gargarise de la pureté d’une seule et unique femme, la Vierge Marie, vénérée comme la seule créature féminine dépourvue de tout péché, à travers la célébration du dogme de son Immaculée Conception. Les commentaires dithyrambiques sur Marie envahissent à nouveau les homélies et le net. Tous ces clercs, dont un bon nombre cherchent à dissimuler leurs zones d’ombre peu reluisantes, se disent qu’en proclamant au-dessus de toute créature une femme, ils se dédouanent de leur entre-soi masculin et de leur misogynie séculaire…
Voire.
Personnellement, je n’ai jamais été dupe de ce subterfuge, sentant bien trop en Eglise catholique qu’une foi féminine inconditionnelle au Dieu Père, Fils et Esprit Saint, et dans les Ecritures, attire de la part des clercs et de leurs supporters acharnés toutes sortes de réticences, de terreurs et de tentations d’ostracisation. On nous voudrait, femmes, soumises sous un voile d’obéissance au magistère, discrètes petites mains en paroisse, silencieuses et souriantes comme une statue de la madone. Quoi que nous fassions, nous sommes aux yeux de ceux-là des maculées conceptions, des créatures de péché dont ils sont friands d’entendre la confession pour mieux mettre en perspective l’abîme entre leur idole virginale et la prétendue bassesse de nos perceptions et actions.
Les catholiques persistent en outre à croire et à professer que la Vierge Marie obtiendra la paix sur le monde, la concorde entre religions – que n’avancent-ils pas à temps et à contretemps que même les musulmans aiment la figure de Marie ! – et tient une place définitive et inégalable dans le cœur et aux côtés d’un Christ jamais sorti de son adoration infantile pour sa maman !
J’entends d’ici mes habituels pourfendeurs hurler que je déteste la Vierge Marie et l’Eglise catholique.
Il n’en est rien. C’est le mensonge que je hais, ce sont les doctrines entourant ces dogmes mal définis que je dénonce, c’est l’hypocrisie que je mets en relief, hypocrisie de glorifier la foi de Marie – foi réelle et magnifique – tout en demeurant incapable de reconnaître les ressorts et les manifestations d’une foi chrétienne authentique dans les jours où nous sommes. Tout se passe comme si la Vierge Marie avait au Ciel toutes les prérogatives possibles, et définitivement, et que toute femme ici-bas était a priori suspecte de rébellion, de péché voire de possession diabolique quand elle ose remettre en cause certaines options du magistère. Les dites sorcières du Moyen-Age en ont fait les frais. De nos jours, on préfère aux bûchers les lynchages virtuels et les lapidations théologiques, un faux sourire aux lèvres.
Je reviens sur le titre de cet article : Nous existons aussi !
Qui est ce nous ?
Ce sont tous les chrétiens non-catholiques romains, qui ont été singulièrement effacés des images et des discours en ce week-end de célébration autour d’une cathédrale. Tout était fait et dit comme si le catholicisme était à lui seul la chrétienté tout entière. Et les catholiques identitaires de jubiler !
Or, il ne suffit pas d’avoir tenté d’éradiquer les enfants de la Réforme il y a cinq siècles pour qu’ils n’existent plus, même au pays de France. Et personnellement, ce sont en grande partie les broderies autour du dogme de l’Immaculée Conception fort mal interprété en catholicisme qui m’ont fait rejoindre les rangs protestants. Quand, contestant un fonctionnement et des propos théologiques délétères, vous vous sentez indésirable dans votre propre Eglise depuis longtemps, cela finit par devenir un réflexe de survie que d’aller célébrer ailleurs sa foi au Christ et aux Ecritures.
Et donc, nous autres ardents fidèles non-catholiques, nous existons, tout comme existent les femmes chrétiennes non inféodées à des clercs et à des doctrines contestables, ne leur déplaise.
Source image : https://regardsprotestants.com/series-podcasts/histoire-des-femmes-protestantes/
3 commentaires
Bonjour Véronique et merci pour ce billet. La soirée de réouverture de ND de Paris m’a aussi laissé mi-figue, mi-raisin. Les hommages aux pompiers et aux artisans de la renaissance étaient en effet dignes et beaux. Mais comme vous, j’ai trouvé la cérémonie très « catho-catho » (le « dialogue « avec l’orgue, entre autres).
Permettez-moi une remarque personnelle : je n’aime pas beaucoup le terme « chrétienté », trop connoté « main-mise » de Rome depuis Constantin sur les peuples d’Europe (et d’au-delà depuis les grandes découvertes au 16e). Le terme évoque un « empire » où se mêlent religion et politique, où l’Evangile est instrumentalisé par des autorités s’arrogeant le droit exclusif de le commenter et le diffuser.
Quant à tes réflexions très intéressantes sur la place des femmes dans l’institution, ce jour justement je reçois la dernière infolettre du site Herodote.net consacré à l’Histoire. Elle renvoie vers deux pages du site : https://www.herodote.net/Marie_au_coeur_de_la_foi_catholique-synthese-3497-21.php
et https://www.herodote.net/La_Vierge_a_l_avant_garde_du_feminisme-synthese-3498-5.php
Pages qui justement traitent de ce même sujet, avec parfois des divergences avec votre analyse et quelques imprécisions sinon erreurs. C’est parfois discutable, comme les quelques commentaires de lecteurs l’expriment.
Merci encore pour ce blog sincère et revigorant.
Bonsoir Véronique et tous ceux qui lisent mon commentaire. Oui, vous avez raison, ces cérémonie a été i=un festival d’ambiguïtés et d’enflures bizarres. Ambiguîtés politiques, enflures religieuses, bizarreries.
Après le traumatisme de l’incendie, bien sût il fallait récompenser les pompiers, les artisans d’art et les donateurs.
Le spirituel était ailleurs.
Dieu est toujours ailleurs que là où on le convoque, de toute façon.
Bien cordialement.
Catholique, depuis toujours, désirant que ça change, je lis votre texte.
Je suis d’accord. C’était figé dans le carho, excessif, et l’archevêque m’a lui-même semblé interpellé par ce qu’on lui a fait faire samedi.
Les évêques en campagne de fidèles bénissant les bouteilles me font réagir.
La bénédiction de l’orgue fut affligeante.
Les coups de bâton aussi.
Je n’aime pas ce cinoche.
Je prie tranquillement Dieu et je fais encore le chapelet. Cela me soutient.
J’ai aussi vérifié dans les dialogues oecuméniques que le fossé reste bien béant entre cathos et protestants ( ‘”orgueil, quand nous laisseras-tu?”)
La ND de Paris comme le autres bénéficie de la charité de l’État. Et on a vu combien le régisseur actuel était fier de sa puissance.
Le clergé catholique a bien expédié son sermon sur la transcendance mais?
On aurait aimé ( moi surtout) une toccata de Bach (assez protestant) et surtout des invités des cultes frères.
Continuons à espérer et à prier avec les mots simples, les célébrations simples et sincères sans quoi le feu dévorera plus que nos charpentes.