C’était en l’an 2000.
Ma foi était à l’état de volcan, en éruption de grâces, d’enthousiasme, de remise en question, d’impérieuse nécessité de lire et lire encore les Ecritures et de les méditer, en chamboulement absolu à la faveur de révélations reçues en avalanche dans le secret de la prière. Le curé de ma paroisse me qualifiait alors, quant à ma foi, de “torche”.
J’ébranlais bien des certitudes autour de moi. J’interrogeais, j’inquiétais même. Mais d’accompagnement spirituel, il n’y en eut point. D’écoute, fort peu. De prise au sérieux, encore moins. Je fus abandonnée par ceux qui se qualifiaient de “chargés d’âmes” à une solitude abyssale.
C’est vrai, l’Eglise catholique romaine avait bien autre chose à faire à l’aube de l’an 2000 que de se pencher sur l’aventure mystique d’une de ses baptisées : il s’agissait de revêtir le pape Jean-Paul II d’une chasuble chatoyante pour mieux l’admirer ouvrant la Porte Sainte, de dispenser des indulgences, d’organiser des pèlerinages vers Rome, de méditer les enseignements d’un pape aussi adulé que clivant, qui parvenait tout de même à contribuer à l’irrépressible hémorragie des fidèles, en particulier les femmes de ma génération et des suivantes. Dans ces années-là, le péché collait encore au corps des femmes : la stigmatisation de la contraception comme déviance grave et de l’avortement comme le plus abominable des crimes occupait encore le discours ecclésial récurrent. Femmes, nous étions sommées de faire des enfants, de servir avec respect nos maris, de demeurer en toutes circonstances humbles, obéissantes et silencieuses, et notre unique planche de salut spirituel consistait à accueillir le privilège suprême d’être “sentinelles de l’invisible”.
J’avais naïvement aimé cette expression de ce pape, car oui “sentinelle de l’invisible”, je m’en sentais le charisme.
Dans les rares moments un peu libres que ma vie de jeune maman de trois enfants me laissait, je lisais les Ecritures et je priais beaucoup. Et si les ministres de l’Eglise avaient résolument décidé de me laisser tomber, il n’en allait pas de même du Père et du Fils que je priais intensément et qui me comblaient de leur douceur et de leurs conseils éclairés.
Et je me retrouvai ainsi, au lancement du Jubilé de l’an 2000, dans une situation un peu analogue à celle d’Ezékiel mis en garde au début de sa mission prophétique contre Israël rebelle et sourd, tout en n’ayant, pour ma part, jamais eu de “visions”. Mais je savais au plus intime de moi-même qu’il m’était demandé instamment par le Père et le Fils de me tenir hors de l’Eglise catholique romaine pendant toute la durée de cette année supposée “sainte”. Je ne prendrais aucune part à ce Jubilé. Je n’en partagerais ni la liesse, ni les excès. Et c’est ce que je fis.
Pendant les six premiers mois, ma petite famille s’intégra avec bonheur à une modeste église évangélique, humble, discrète et joyeuse dans ses célébrations, mais sans aucune dérive pentecôtiste. Des voisins très chers, impliqués dans cette paroisse, nous y avaient introduits ; c’était une famille honorable et très appréciée dans notre village.
Bien sûr, ma famille élargie nous crut tombés dans une secte : il n’en était rien, vérification faite, cette église ne figurait dans aucun répertoire d’organisations cultuelles douteuses.
J’y fus heureuse un temps, tout en mesurant que là n’était pas ma place définitive. Au milieu de ces paroissiens évangéliques fervents et authentiques témoins du Christ, je reçus en août 2000 avec douleur et humiliation la déclaration Dominus Iesus de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, signée du préfet Joseph Ratzinger.
Honteuse, en tant que baptisée catholique, de la teneur de ce texte, je me souviens d’avoir pris la défense de mes co-paroissiens de l’époque en affirmant à haute voix devant l’assemblée qu’ils étaient une véritable église et des chrétiens authentiques et légitimes.
Différents événements firent que ma famille et moi cessâmes un jour de fréquenter cette petite église. Je ne retournai pas pour autant immédiatement à la messe, sentant toujours au creux de ma prière cette injonction très forte à garder mes distances avec la pratique catholique. Et même s’il m’en coûtait, ma foi étant toujours aussi vive et en désir d’être célébrée, je finis l’année 2000 et entamai l’année 2001 dépourvue de toute communauté religieuse. C’était bien souvent une souffrance, mais dans l’obéissance à Dieu. Et au fil des années, même longtemps après, j’ai compris le sens de ce jeûne ecclésial qui me fut imposé.
Je ne vais pas reprendre ici les vingt-cinq ans écoulés depuis 2000, mes livres et mon blog les racontent suffisamment.
Ce qui est certain, c’est que je ne me mêlerai pas davantage du Jubilé de l’an 2025 que de celui du tournant du millénaire. Tout est bien plus clair en moi désormais : avec un recul d’un an et demi de pratique de ma foi toujours aussi vive en temple protestant, j’ai appris à me libérer de l’emprise, des fastes, des rituels excessifs et de certaines pratiques douteuses qui ont cours dans l’Eglise catholique romaine : patriarcat d’un autre âge, cléricalisme avec ces défilés de mitres et de barrettes que je ne puis plus supporter, commerce des messes et de diverses célébrations, dispense des indulgences et consentement à la sujétion à un tiers – forcément masculin au sommet de la chaîne – par la doctrine de l’obéissance ecclésiale. Tout ce fatras que le catholique dépendant de cette structure croit indispensable et “saint” ne peut plus m’être imposé désormais. Je me relève comme après un très long lavage de cerveau.
“La vérité vous rendra libres.” (Jean 8, 32)
Cette parole de Jésus a pris tout son sens pour moi.
Libre de l’aimer, libre de le prier, libre de l’écouter, libre de le célébrer, libre de le chanter, libre de le partager, libre de le servir, libre de le reconnaître en mon prochain, libre de le chercher partout où il est, et aussi de mettre en évidence où il n’est pas.
Libre, à son image et à sa ressemblance.
Libre en lui, avec lui et pour lui.
Libre.
Et heureuse, infiniment heureuse d’être chrétienne.
Photo POOL/AFP Remo Casilli
Source image : https://information.tv5monde.com/international/le-pape-celebre-noel-et-lance-le-jubile-2025-annee-sainte-rome-2753924
1 commentaire
Merci, Véronique. Bien d’accord, beaucoup de rituel dit “de toujours”.
La notion d'”indulgence plénière” me laisse dubitatif. On explique que l’indulgence “efface la peine temporelle” due au péché. Je n’ai jamais vraiment compris la notion juridico-ecclésiastique de “peine temporelle”.