Deux deuils se bousculent cette semaine aux portes de mon cœur, en trop plein d’émotion. Deux âmes envolées vers d’autres contrées, l’une comme en délivrance après bien trop de souffrance et de maladies, l’autre en arrachement à ses bien-aimés, trop tôt, trop brutalement. Deux hommes ne s’étant jamais croisés de leur vivant, mais que mes affections unissent en parallèle dans ce double hommage aujourd’hui.
Il y a quelques jours, j’apprenais un peu tardivement le décès le 1er janvier 2025 de mon grand ami Michel Reeber, prêtre du diocèse de Strasbourg et historien des religions, grand spécialiste de l’Islam auquel il a consacré de nombreuses publications chez différents éditeurs.
Michel se battait depuis longtemps contre de nombreuses maladies qui ont fini par avoir raison de lui à quelques jours de son soixante-dix-neuvième anniversaire. Pour la première fois, mes vœux de Noël et Nouvel An étaient demeurés sans réponse. Ses messages, déjà, se faisaient plus rares depuis l’été dernier, quand il avait dû quitter son studio strasbourgeois pour être soigné au plus près en clinique. Remontant le fil de nos échanges, je lis au 10 novembre 2024 ce qui restera son dernier message reçu par moi sur WhatsApp. Il y réagissait au décès d’un prêtre que j’avais connu et beaucoup apprécié, le père Franz Lichtlé, parti lui aussi bien trop tôt cet automne :
“Je ne le connaissais pas. Qu’il repose en paix. Je comprends qu’il ait eu autant de rayonnement. Tu en as largement profité. Il rejoint tant de prêtres, bons et fidèles serviteurs du Christ et de l’Evangile.
MiRee”
Testament d’une amitié liant un prêtre et une chrétienne, une amitié née au fil des lignes de ce blog en janvier 2014…
J’avais alors rédigé un billet évoquant mon voyage en Afrique, notamment au Burkina Faso, quand j’avais vingt ans, en 1984. J’y évoquais un autre grand ami prêtre, Jean-Marie Reeber, un missionnaire Fidei Donum originaire d’Alsace que j’avais rencontré là-bas et qui nous avait accompagnés, mes amis de voyage et moi, dans les alentours de Bobo Dioulasso à la rencontre de familles africaines et de jeunes militant à la JOC qu’il encadrait avec conviction comme missionnaire aumônier. Jean-Marie avait les yeux limpides des disciples du Christ à la foi vive et authentique, le sourire des hommes de cœur et la joie paisible des humanistes à l’œuvre selon leur vocation. Jean-Marie, au cours de ces quelques semaines en Afrique, m’avait marquée pour toujours, et quelle ne fut pas ma tristesse de ne pouvoir le revoir dans son Alsace natale quand son cœur s’y arrêta de battre avant qu’il ait atteint l’âge de cinquante ans…
Au hasard du net, cet article de blog attira en 2014 l’attention de Michel, qui me laissa un commentaire en se présentant comme frère de Jean-Marie et prêtre lui aussi. De là allait naître une profonde amitié entre nous deux, faite d’échanges épistolaires, de rencontres à Strasbourg ou même, une seule fois, dans mon village d’Alsace où je résidais alors, partages de foi, de vécu en paroisse ou en famille, d’intérêts communs, d’intentions de prière, d’espérances et de désillusions en Eglise… Michel me partageait ses livres, et évoquait parfois ceux qu’il rêvait encore d’écrire, notamment un encouragement à créer de petites cellules de célébration chrétienne, qu’il considérait comme l’avenir d’une Eglise dont l’évolution vers le traditionalisme le chagrinait. Mais ses forces l’abandonnaient peu à peu, la lutte contre de multiples pathologies douloureuses occupant bien malgré lui la majorité de son temps…
Michel évoquait aussi de longues années de proximité avec les habitants des quartiers populaires de Strasbourg. De manière discrète mais opiniâtre, il mettait à profit sa maîtrise de la langue arabe pour aller à la rencontre des jeunes à la nuit tombée, dans des quartiers non dépourvus de risques pour lui, mais il était connu d’eux comme un ami et tentait par toute la force de sa personne engagée de persuader des jeunes attirés par le Djihad de ne pas prendre les armes…
Ainsi était Michel, pétri de fidélité à son ministère, à sa famille, à ses idées, pétri d’humanité et tellement humble malgré son érudition et un parcours de vie peu ordinaire ! Jusqu’au bout de ses forces, il s’était rendu dans son village natal en train chaque fin de semaine pour se recueillir, au bout d’une marche exigeante, sur le tombe de son frère Jean-Marie, de leur père puis de leur maman décédée à un très grand âge. Il savait que là serait aussi sa dernière demeure, il avait beaucoup lutté pour ne pas infliger à sa maman une nouvelle déchirure par la perte d’un autre fils bien-aimé.
Eugénie partie, j’avais senti que la lutte lui devenait plus difficile, et il ne lui aura pas survécu très longtemps…
Michel Reeber, mon ami, réjouis-toi dans la lumière du ressuscité que tu as si bien servi à travers ton ministère de prêtre, tes études et tes recherches poussées et cette épaisseur humaine qui frappait en toi malgré ta frêle apparence les dernières années de ta vie ! Je rends grâce pour avoir pu t’accompagner un bout de ce chemin-là, je rends grâce pour notre belle amitié, je rends grâce pour la délivrance de cette gangue de souffrance que la vie t’imposait.
Sois heureux auprès des bien-aimés de ta famille et de ton cœur aux dimensions du vaste monde, en cette Vie qui ne s’arrêtera jamais plus et en laquelle j’espère te revoir au jour de la manifestation des enfants de Dieu…
Et tandis que je rédige ces lignes, mon cœur s’étreint, car à quelque mille kilomètres de Toulouse, ma famille est unie aujourd’hui dans la peine et un insondable chagrin : Didier, mon cousin si gentil, serviable et solide comme un roc, Didier époux, père, grand-père, frère et ami, Didier est en ce moment au cœur de l’église de son village natal et de vie, qui fut aussi celui de mon papa, Didier est accompagné par ses proches éplorés vers sa dernière demeure…
Comme celui de mon ami Jean-Marie naguère, le cœur de Didier a refusé brutalement de battre dimanche dernier, Didier s’est effondré sous les yeux de son épouse avant que d’avoir pu fêter ses soixante-six ans, Didier n’est plus et c’est un autre homme aux grandes valeurs humaines et à l’humble présence chaleureuse et simple qui s’en va…
Seigneur, je te confie tous ces bien-aimés, ceux qui te rejoignent et ceux qui pleurent, sois-leur soutien, réconfort, lueur d’espérance, veille sur ces endeuillés et accueille à bras très grands ouverts Michel et Didier, des hommes au grand cœur qui ont achevé, trop péniblement ou trop tôt, leur itinérance terrestre.
Amen