D’aucuns diraient : tout les sépare. Il faut s’aimer beaucoup pour assumer tant de différences.
Souvent, cela me laisse songeuse. Deux manières tellement dissemblables de penser, et pourtant l’amitié est là, solide, profonde, de longue date, forgée sur les réseaux de la lutte contre la désespérance et les préjugés.
Je crois au Ciel et elle n’y croit pas. Mais pas du tout. Et pourtant, quand elle vient me voir, elle ne m’offre que des livres spirituels. Elle sait mon univers et elle le respecte. Je sais le sien et je le respecte.
Son intelligence me fascine. Sa très grande culture aussi. Je ne connais personne qui lise autant qu’elle. Cela lui donne une densité qui interdit de balayer d’un revers de la main ses opinions. A son contact, je m’interroge sur tous les sujets que ceux qui croient au Ciel balaient souvent d’un revers de la main, justement. Leurs arguments, je les connais par coeur. Les siens, je m’étonne toujours de les découvrir.
J’aurais pu sans nuances me ranger à leurs opinions, ou aux siennes. Par mimétisme d’un côté, par persuasion de l’autre. Et pourtant je reste là, entre les deux rives. Elle me parle du monde. Ma foi me parle de l’au-delà de toute chose.
Elle est d’un pays où toutes les lois semblent en avance, jusqu’à nous sidérer, parfois, de ce côté de la frontière.
Pour elle, notre conservatisme semble d’un autre âge. Chez elle on le fait déjà, donc c’est légitime puisque légal.
La connaître est une chance. Elle m’a toujours gardée, peut-être sans le savoir, des opinions trop tranchées, qui jugent, qui cataloguent, qui condamnent. Je n’ai jamais pu descendre dans la rue pour ces opinions-là. Ni pour les siennes non plus d’ailleurs. Je ne milite pour aucune de ces causes. J’accepte juste de m’interroger.
M’interroger quand une amie commune, instable, choisit de ne pas donner la vie parce qu’elle côtoie les gouffres du désespoir et se heurte à un refus d’être père.
M’interroger quand elle raconte les abîmes infernaux du délire schizophrénique, et la mort qui semble peu de choses au regard de ces souffrances-là.
M’interroger devant sa terreur de finir aveugle et de ne plus pouvoir lire, d’être obligée de poursuivre une vie qui n’aurait plus aucun sens pour elle.
Etre attentive quand elle me parle du mari d’un ami.
Aimer son enthousiasme quand elle raconte qu’elle adorerait faire des études de féminisme au Canada, et pouvoir décortiquer vraiment ce qu’il y a derrière le mot genre.
Elle est pour moi une terre de savoir à explorer.
Une femme qui pense et qui est pertinente.
Une personne cohérente avec elle-même.
Mais je me sens résolument entre les deux rives.
Je connais le prix inouï de la vie, moi qui sans doute, dans un autre contexte, n’y aurais pas eu droit.
J’ai un amour éperdu pour les choses de Dieu.
Je suis tellement passionnée par le Christ homme que je comprends mieux, à travers lui, toute ma différence de femme.
J’accepte, au fil des années, de convertir toutes mes pensées mondaines au feu de son Evangile.
J’ai un très grand respect pour l’Eglise dans sa hiérarchie.
Alors, quand j’échange avec elle, du bout du clavier ou à travers ses volutes de fumée, je sais bien que ma barque vogue entre les deux rives. Mais je m’enrichis profondément à son contact.
Et même si je crois au Ciel et qu’elle n’y croit pas, c’est mon amie, intime, précieuse, et le lien qui nous unit, tissé dans des contrées que peu ont explorées, dépasse de loin toutes nos divergences.
5 commentaires
rien de ce qui est la vie ne m’est étranger. la vie est un grand fleuve, aurait dit krishnamurti, ne vous contentez pas de petites mares. la famille, l’a nation, la religion; pleins de choses qui rassemblent et pourtant divise.
Je ne sais pas si c’est à moi que vous vous adressez, Jean,. Votre commentaire est un peu insultant.
Je n’ai pas du tout le sentiment, dans ma vie, de me contenter de “petites mares”. J’ai une grande famille, unie au prix d’efforts louables de chacun. C’est le lieu premier où puiser la force d’avancer, de rester positif, d’apprendre à s’aimer.
Je ne me sens pas non plus prisonnière d’une religion étriquée. Ma foi est très vaste, fondée sur le Christ Jésus dont la parole est la plus belle qui ait jamais été donnée à l’humanité. C’est une parole porteuse d’espérance, de joie, d’amour du prochain, de pardon. Jésus n’est pas un philosophe auquel on adhère ou pas. C’est le propre Fils de Dieu, auquel on a la chance de croire quand on a pu le rencontrer dans sa vie, personnellement, au fond du cœur. Rien à voir avec une idéologie.
Intéressant !…j’y reviendrai…Bonne journée !
La plupart de mes amis sont athées, et ça permet effectivement des conversations passionnantes, où on explore sa propre foi à partir d’un regard extérieur. Du coup on en découvre les éventuelles failles, les incompréhensions, les explications erronnées, les préjugés… Et on découvre aussi les arguments et les “foi” du monde, le moteur qui permet à quelqu’un qui ne croit pas en Dieu d’aimer la vie et de se lever chaque matin. C’est très enrichissant, d’un côté comme de l’autre, et c’est très libérateur aussi : on n’est pas “que” chrétien, on est aussi humain, et comme le disait Alexandre le Grand, “rien de ce qui est humain ne m’est étranger”. Merci pour cet article.
Et merci à vous pour ce précieux témoignage, el padre ! Je suis fidèle à votre blog chaque jour…