Arrivée il y a presque vingt ans sur mon lieu de vie actuel, je n’ai pas tout de suite fait un pas vers ma deuxième famille. Surmenée comme une jeune maman active et encore un peu réticente à reprendre une pratique régulière, j’ai été quelque temps “la maman de” et puis aussi “la femme de”, on me connaissait surtout à travers les miens. Et comme des gens venus d’ailleurs, car dans cette région l’appartenance locale tient une place particulière. C’est un peu difficile d’y faire la sienne, il faut du temps, de la patience, de l’écoute, du respect, de la sympathie pour le sens de la tradition régionale et de la fête. Il faut accepter de les entendre aussi dans leur langue régionale, aimer leur zèle, leur tempérament peu contestataire et constructif. S’intéresser à leur vive préoccupation pour l’environnement, l’authentique, le naturel. Pour se faire adopter par eux, les adopter d’abord, eux. Cela prend un peu de temps, quelques déconvenues, quelques doutes parfois d’avoir fait le juste choix, quelques nostalgies de la terre d’origine, pauvre, simple, ouvrière, cosmopolite. Se raccrocher, dans ces moments de doute, au cadre de vie enchanteur, que l’on ne quitterait plus pour rien au monde.
Mais à demeurer à leur contact de façon prolongée, on découvre aussi des personnes cohérentes avec elles-mêmes, chaleureuses, ayant le souci de la transmission des valeurs, et, chose qui m’étonnait beaucoup au début même dans ce milieu si obtus sur ce plan qu’est l’Education Nationale, un respect assez fort pour l’Eglise, pour les Eglises puisqu’ici, on ne peut échapper à la dimension oecuménique.
Discrètement, on nous montrait que nos enfants étaient attendus pour être catéchisés. Ce fut le début de mon retour vers l’Eglise.
Il y a eu bien de péripéties fort douloureuses dans cet itinéraire, mais depuis douze ans maintenant, j’ai vraiment fait de ma communauté de paroisses ma deuxième famille. Et c’est la réflexion que nous étions plusieurs à nous faire samedi soir à la Vigile Pascale : grand sourire aux lèvres : “On se voit beaucoup ces jours-ci, c’est la petite famille !”. Oui, et c’était bon et doux. Et ce n’est pas une si petite famille que ça, car quatre clochers pour un seul prêtre, cela fait déjà un bon nombre de paroissiens.
Famille au sens où nous vivons les grands et les petits événements liturgiques tous ensemble. Quand bien même il y aurait un repas de famille des liens du sang après, le premier rassemblement de la fête qui nous réunit se fait en paroisse. Et c’est un grand réconfort pour toutes celles et ceux qui, comme moi le plus souvent, vont seuls à la messe. Sur le parvis, déjà, on n’est plus seul. Joie de se retrouver, d’échanger quelques nouvelles, de lire dans les yeux des autres la même allégresse que celle qu’on porte au coeur. Christ est ressuscité ! C’est tellement important de le dire, de le vivre, de le célébrer en communauté ! Samedi soir, j’étais bien, là, au milieu de ma deuxième famille. L’amie qui, il y a seize ans maintenant, a préparé mes deux aînés au baptême et m’a donné envie de retrouver une paroisse était à côté de moi. Elle me glisse à l’oreille, tout heureuse pendant la lecture de la Bonne Nouvelle : “C’est mon évangile préféré.” Et tandis que notre jeune prêtre achève son homélie, dans son style très personnel qui lui va si bien, nous échangeons toutes deux un large sourire entendu : oui, la Bonne Nouvelle de la Résurrection du Christ a été annoncée, et bien annoncée !