Ce souvenir remonte à douze ans maintenant. Il me revient car c’est la saint Laurent, comme ce jour-là, et que l’Evangile de ce 19ème dimanche du temps ordinaire coïncide assez bien avec l’événement (Matthieu 14, 22-33). Nous étions en vacances dans un pays de mer et de tramontane, et justement, la tramontane ne cessait pas de souffler, nous privant jour après jour des joies de la plage et de la baignade. Notre petite famille était encore au complet, les enfants étaient jeunes, et tentaient tous les jours d’aller à la pêche aux crabes avec une animatrice, souvent en vain. Ces petits intermèdes de club nous laissaient, à nous parents, le temps de faire une promenade dans l’arrière-pays ou d’aller nager. L’impatience nous gagnait un peu devant la météo défavorable, et un jour, je crois que nous n’avons pas regardé la couleur du drapeau. Nous sommes allés nager, la mer était plutôt calme en apparence. J’aime nager mais je maîtrise mal les techniques de nage et parfois, ma respiration. Je ne m’éloigne jamais beaucoup du bord.J’avais repéré ce jour-là une bouée jaune que j’essayais de fixer des yeux pour rester à distance prudente de la plage.
Et puis nous avons été pris dans des courants que nous ne parvenions plus à maîtriser. Ils étaient contraires et il fallait déployer bien des efforts pour rester à la surface et continuer à avancer. Je fixais toujours ma bouée jaune, mais je ne m’étais pas rendu compte que ce n’était pas la même qu’au départ, et au lieu de nous approcher de la plage, nous étions en train de nous en éloigner.
Il n’y avait personne. J’ai risqué un “Au secours !” saccadé par la panique. Mon mari nageait à côté de moi, un peu plus sûr que moi mais franchement inquiet de la tournure que prenaient les événements. Je pensais avec désespoir à mes enfants si jeunes qui ne pouvaient pas rester orphelins. J’ai déployé mes ultimes forces, puisées dans l’instinct de survie. Nous avons nagé contre le courant, les vagues dans le visage, avec cette unique préoccupation de récupérer nos trois petits au club enfants. J’ai dû trembler de tous mes membres et pleurer abondamment en arrivant sur le rivage. Nous étions sauvés. Nous allions pouvoir serrer nos enfants dans nos bras, en nous gardant bien de leur raconter cette folle imprudence.
Plus tard, mon mari m’a dit : “Tu as vu, c’était la saint Laurent.”
Je lui ai gardé une reconnaissance particulière.
En l’associant bien sûr à mon premier cousin du même prénom qui avait rejoint les anges à quelques jours de vie…