L’autre jour, elle me disait : “J’ai toute ma vie dans une valise.”
Et c’est un peu vrai. Pas vraiment le temps de se poser en un lieu fixe au long des trimestres, entre l’internat, la maison et chez son père. Elle en rit : “Je suis une SDF.” Mais quand viennent les vacances, pourtant elle n’est pas obligée, elle refait sa valise. Une expo à Paris. Une nuit chez une copine. Et ce matin, plus chargée que d’habitude, avec matelas en mousse et sac de couchage, elle a pris le bus pour Taizé. Petit sourire mi-anxieux, mi-impatient. C’est la deuxième fois déjà. Je fixe l’azur de ses yeux voyageurs, et je lui dis d’être sage, le cœur gonflé de joie pour elle, et pour moi. Taizé l’année dernière, ce fut une lutte, mais cette année, c’est vraiment elle qui a choisi d’y aller. A la fois je l’envie, et puis je suis heureuse qu’elle ait l’âge de vivre pour elle, avec d’autres, des instants si uniques. Elle pourra porter ses sarouels. Elle pourra rire et réfléchir en anglais. Elle pourra être elle-même, dans un univers sans faux-semblants.
Et puis elle va chanter, et prier. Dans son cœur si secret, il y aura du temps pour le Tout-Autre. Dieu et la liturgie, ça ne sera plus seulement l’affaire de maman. Elle va avoir un peu d’espace pour se l’approprier.
Je me suis reposée sur la terrasse tandis que le vent soufflait dans les draps gonflés de propre. J’ai pensé à elle en voyage, j’ai pensé à son avenir qu’elle rêve ailleurs, qu’elle espère autre, à tous les possibles de son âme d’artiste. J’ai entendu dans mon souvenir une chanson d’Angelo Branduardi que je fredonnais à son âge :
Belle dans la poussière des rails
Laisse tomber l’éventail
Va où le vent te mène
Va où le vent te mène,
Va où le vent te mène, va
Danse-la, la vie qui t’aime
au rythme du monde qui va
Oublie les mots qui t’enchaînent
Va où le vent te mène, va…