“En ce moment, j’écris des poèmes, je pourrai vous les faire lire ?”
Question que je lui avais posée un peu timidement au sortir de la messe, dans la crainte d’être rabrouée comme je l’avais été si souvent, mais pas par lui. En lui, j’avais confiance. J’avais encore des choses à dire sur ma foi, malgré l’internement juste avant, malgré l’étiquette “malade psychique” qui m’avait été attribuée, malgré les médicaments abrutissants que je devais désormais avaler, malgré la commisération des regards, partagés entre la pitié et le soulagement d’avoir “désigné une patiente”, ce qui évitait de se remettre soi-même un peu plus profondément en question.
Il ne m’avait pas dit non.
Depuis ce séjour si éprouvant en psychiatrie, il avait été la main tendue vers mon âme disloquée. Il m’avait aidée à relativiser les événements précédents. Il m’avait donné, dans ma chambre d’hôpital, le sacrement de la Réconciliation dont j’avais tant besoin à ce moment-là. Lui, l’aumônier de la structure, prêtre, unanimement apprécié.
Je me sentais encore trop humiliée pour retourner dans ma paroisse. J’avais besoin de retrouver mes compagnes et mes compagnons d’infortune dans cette chapelle d’hôpital psychiatrique tous les dimanches, après cette réconciliation avec l’Eglise, pendant cette restructuration psychique et spirituelle ; je me sentais bien là, au milieu des plus stigmatisés de la société, parmi les humbles qui assistaient à ces offices en tremblant sous l’effet des traitements, en osant parfois des comportements qui auraient été, ailleurs, foudroyés du regard. Je les aimais bien, je me sentais moins seule au milieu d’eux, et puis c’était lui qui disait la messe, toujours avec les mots qu’il fallait pendant ses homélies. Il avait fait avec moi le pari de la confiance, et m’avait offert mon premier ambon de lectrice.
Il ne m’avait pas dit non.
Alors, tous les dimanches, je glissais un poème manuscrit dans le panier de quête. Il ne m’en parlait pas, mais j’étais sûre qu’il les lisait.
Cette année 2001, il fit un temps superbe le jour de l’Ascension, et l’inspiration était là. J’écrivis, presque en un seul jet, “Soleil de mai.” Et j’étais assez contente de moi, pour autant que je puisse être contente de temps en temps à cette période-là.
Je le recopiai aussi dans un grand cahier, à l’encre bleue, là où je consignais tous ces poèmes.
11 ans de sommeil.
Et puis ce site, et l’envie de les partager. Ouvrir ce cahier si secret.
Je ne saurais dire ce qui a fait le succès de “Soleil de mai”, poème pour l’Ascension. Le fait est que depuis trois ans, je le retrouve un peu partout quand cette date arrive. Sur des bulletins paroissiaux, des sites de partages de poèmes, des forums de discussion… Mystères d’internet.
Double joie.
Pour le Seigneur que j’avais voulu fêter ce jour-là par mes mots pleins d’amour.
Et pour moi, aussi, comme une petite revanche sur cette année 2001 qui avait tenu davantage de la descente aux enfers que d’une quelconque ascension…
https://www.histoiredunefoi.fr/poemes/568-poeme-pour-lascension
Image : L’Ascension Fresque de Giotto