A la vingtaine, on construit sa vie d’adulte, on fourmille de projets, on aime, parfois avec bonheur, parfois avec souffrance, on se projette dans l’avenir tout en rejetant les systèmes qu’on n’a pas choisis, héritages souvent douloureux de ce que les générations précédentes ont semé.
A la trentaine on prend sa part, on s’inscrit dans la marche du monde, on consolide une situation, on construit qui un couple, qui une famille, qui une maison.
A la quarantaine bien souvent on savoure les bases posées, on sait mieux qui on est, on ose penser ce que l’on pense et l’exprimer, on devient de plus en plus soi. On voit déjà les premiers vrais fruits de sa vie : des enfants qui grandissent, une reconnaissance professionnelle, un engagement que l’on tient, toute une maturité que l’on peut apprécier avant les premiers assauts du temps.
Et puis vient ce passage délicat de la cinquantaine. Je n’y suis pas encore, mais je l’observe autour de moi et j’en ai peut-être déjà subi certains revers avant mon heure. Nombreuses sont les femmes qui voient leurs maris se désintéresser d’elles. Elles n’ont plus la fraîcheur de leurs 30 ans, du temps des promesses, le corps se fait obstacle là où il était ami, le regard du partenaire change. Il se sent encore plein de verdeur : pourquoi ne prendrait-il pas un nouveau départ, pourquoi n’irait-il pas reconquérir sa jeunesse dans un nouveau couple, de nouvelles aventures exaltantes ? Revivre une hypothétique jeunesse qu’on craint de voir fuir à tout jamais… Elles sont nombreuses, ces abandonnées du milieu de la vie, celles qui avaient tout donné et à qui l’on reprend tout, d’un coup. La vie de couple, et son corollaire souvent, le cadre de vie. Remise en question totale qu’elles n’avaient pas choisie, pas prévue. Blessure vive qui restera longtemps ouverte, compromettant indéniablement la confiance. Paupérisation à l’âge où l’on devrait pouvoir goûter les fruits de plusieurs décennies de labeur…
Il y a aussi les couples qui tiennent, et je les admire. Mais tout ne leur est pas épargné pour autant. La cinquantaine, ce sont les parents qui vieillissent, qui causent du souci, qu’il faut parfois placer alors qu’on les sait tellement mieux chez eux. Ce sont les enfants qui quittent le nid, qui ne font pas toujours les choix qu’on aurait voulus pour eux – je bénis le Ciel de ne pas connaître cette déception-là.
Et puis il y a le corps, ce corps qu’on habite depuis toutes ces années, en lequel on a eu confiance, qui a donné la vie peut-être, et qui veut encore sa part de joie.
Et vient parfois la maladie. Et là le temps s’arrête. Le corps trahit. Le corps dysfonctionne alors qu’on croyait si bien le maîtriser.
Vient le temps de l’humilité. S’en remettre à un médecin. Accepter de recevoir d’un autre des informations sur son propre corps. S’abandonner en confiance à cet autre qui connaît des remèdes, espérer dans les progrès de la médecine, quand on la chance de vivre dans un pays où le système de santé est performant. Redevenir pour un temps un enfant malade qui espère des soins. Mais en mobilisant toute sa maturité, toutes ses énergies de vie, de responsabilités, pour vaincre le mal.
Seigneur mon Dieu, aide mon ami, tous ceux que j’aime et tous ceux que je ne connais pas, à passer le cap de l’âge de la vulnérabilité…
5 commentaires
Est-ce parce qu’approchant de la cinquantaine, ceux que j’aime y sont aussi plus ou moins, et que le temps de la vulnérabilité est vraiment venu pour nous ?
Les mauvaises nouvelles s’enchaînent…
Cette fois c’est à ma soeur qu’on diagnostique une maladie très rare, sans issue grave mais qui risque d’être un peu invalidante, avec un traitement à effets secondaires gênants…
Et de notre cher Père Jeuge qui postait ici, je n’ai pas de nouvelles depuis un mois qu’il m’a annoncé entrer en clinique, et je m’inquiète aussi pour lui…
Tout remettre entre les mains du Seigneur…
Ton message, Véronique, est d’ une très grande psychologie. Arrivé à 85 ans, je puis en témoigner. Pour les hommes, le passage difficile est, souvent, de 45 à 65 ans. Que de tentations, auxquelles il arrive de succomber pour se prouver qu’ on est encore jeune et vaincre l’ ennui et la monotonie ! Comme je l’ ai raconté longuement dans le nouveau forum ( Conversion ), c’ est à 67 ans que j’ ai décidé de faire de ma vie autre chose qu’ une simple vie banale et de vivre pleinement en couple, avec ma femme, sous le regard de Dieu . Avec elle, qui y allait déjà, j’ai décidé d’ assister tous les soirs à la messe. En 2000, commença sa maladie qui allait mettre onze aux pour la conduire à la mort. J’ avais 73 ans. Ces onze ans furent très durs à vivre pour elle, mais sa confiance en Marie fit qu’ elle n’ en laissa rien paraître; Pour moi, je me rapprochai tous les jours davantage d’ elle, au point de tout lui sacrifier et de ne m’ occuper que d’ elle, sans la moindre contrainte. Nous avons vécu dans un total abandon et une immense confiance en l’ Amour Miséricordieux du Père. Ce fut les années les plus riches de notre vie.
Je prie beaucoup pour toi et ton ami, pour que le Seigneur vous remplisse de son Amour, Il n’ abandonne jamais ses enfants qu ‘il aime tant. André
Ton témoignage est magnifique, André. Comme j’admire les couples qui tiennent ainsi dans la durée et savent s’accompagner l’un l’autre quand le pire arrive… Mais visiblement vous en avez fait le meilleur.
Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : mon ami malade, c’est le mari d’une amie, moi je suis célibataire !
Excuse-moi, Véronique.
Mais cela ne change rien.Dis-lui que je prie beaucoup pour lui
André
Merci pour ce beau texte. La maladie je l’ai connue à la trentaine, puis j’en ai connu une autre à la quarantaine. Il me semble que mon corps m’a toujours fait faux bond. L’anatomie et la santé sont un destin. Impossible de construire vraiment sa vie sans la santé. Au moins, je n’ai pas connu l’homme qui tourne les talons aux premiers signes de l’âge. C’est ma chance. Mais là je parle de moi et je sais comme tu es touchée par la nouvelle de cette maladie de l’un de tes amis. Bon courage à toi et à ton ami.