J’ai appris son décès ce matin. Un prêtre, un ami. Il a été comme un pilier dans ma vie de foi. Arrivé dans mon village natal tandis que je venais tout juste de plonger dans l’agnosticisme, il devait prendre la difficile relève d’un curé très aimé. Il a souffert, je crois bien, de ne jamais avoir vraiment occupé la même place dans le cœur de ses paroissiens.
C’était un prêtre de cette génération qui se passait volontiers du clergyman. Le sourire qui réclamait le tutoiement, l’engagement jusqu’à l’épuisement dans l’action catholique ouvrière. Sans arrêt en route pour des réunions au volant de sa petite voiture qu’il conduisait mal, son agenda était surchargé de présence auprès des humbles et des exploités. Il prêchait sans notes, nous rappelant sans cesse que la foi sans les œuvres était vaine. Ses paroissiens trouvaient qu’il ressortait toujours les mêmes rengaines, les gens de passage étaient frappés par le feu de son engagement. Etant moi-même militante dans ma jeunesse à la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne), nous étions sur la même longueur d’onde. Je n’avais plus la foi, j’essayais au moins de garder les œuvres.
Il est venu à mon secours à une étape cruciale de ma vie. Une table avec une toile cirée, mes parents, mon ami, lui et moi. Il s’agissait de justifier pourquoi nous ne voulions pas, à ce moment-là de nos vies, d’un mariage religieux. La discussion fut âpre, mes parents craignaient le qu’en-dira-t-on et la disgrâce, moi je ne voulais pas galvauder, sans foi, un sacrement, mon futur mari étant encore moins que moi dans une démarche religieuse. Il a écouté, compris, aidé. Son arbitrage a mis fin à une tension de plusieurs mois. Il n’a pas abdiqué pour autant son sacerdoce, et a conclu la difficile soirée par cette phrase que je n’ai jamais oubliée : “Ce qui me chagrine, c’est que vous êtes tout de même des baptisés.” C’était entré là où il fallait et ça a fait son chemin dans la nuit de ma foi, pendant des années.
Il y a eu d’autres entrevues encore, toujours profondément amicales, chez lui, et bien plus tard, dans cette maison de retraite très simple où il ne voulait surtout pas bénéficier d’un régime de faveur en tant que prêtre. Il n’avait plus la mémoire des noms, mais le verbe toujours vif, des piles de livres et le sourire ravi quand on évoquait le pape François. Ah, celui-là lui plaisait ! Pourvu qu’il n’y ait pas d’attentat contre lui !
Ce sont à peu près les derniers mots que je garde de lui. Son sourire et son accolade. Heureux d’avoir revu des paroissiens d’un village où il a vécu ses dernières années d’autonomie, en missionnaire de l’Evangile.
Voilà, j’ai appris son décès ce matin. Ma prière pour lui est toute confiante.
Entre dans la joie de ton maître !