Une grande fatigue et un peu de lassitude. Une sensation de surmenage.
Il faudrait dire toutes ces heures invisibles que l’enseignant du primaire accomplit. Ne pas avoir bonne presse dans son pays alors que l’on donne jusqu’à ses dernières forces pour le progrès des enfants de la nation… Passer des heures, chez soi, en corrections et en préparation d’une multitude de séances quand on a un triple niveau en face de soi tous les jours, avec beaucoup d’élèves… Prendre à cœur des situations dramatiques que vivent certains d’entre eux, multiplier les réunions, les entrevues, les concertations pour tenter de leur venir en aide, sourire et encourager quand même, devoir gronder parfois alors que l’on sait qu’une petite vie meurtrie a déjà enduré davantage qu’un adulte qui découvre des bribes de son histoire… Emporter tout cela chez soi, porter cela en soi sans avoir forcément d’interlocuteur avec qui le partager… Qui songe parfois à la pesanteur d’un métier qui nous fait ainsi pénétrer dans l’intime des vies, des familles, dans le cœur si sensible d’un enfant ?
Le peu de reconnaissance, le salaire qui ne permet plus de vivre décemment parce qu’il n’augmente jamais tandis que les factures s’affolent, s’entendre dire souvent qu’on est un fardeau pour le budget de la nation, endurer les remarques narquoises de l’entourage quand arrivent les vacances alors qu’on est vraiment au bout du bout de la fatigue, mais qu’on donne le change pour préserver l’enthousiasme des élèves…
C’est un métier que j’aime, mais qui me dévore. Qui déborde de partout chez moi, en piles sur mon bureau, en traces quasi permanentes sur la table qui sert plus à travailler qu’à manger en famille ou entre amis. C’est un métier qui ne laisse pas de répit à mon cerveau. Penser, en classe, en permanence à trois programmes différents, arriver devant le tableau en ayant à introduire à la fois le sens de la soustraction, sa technique pour ceux du milieu, et le sens de la division pour le troisième groupe, mais ne plus se souvenir de quel jour on est tant le bouillonnement intellectuel sollicite d’énergie simultanée. Faire à la hâte ses photocopies à 7h45 le mercredi matin, enchaîner trois heures de classe, une heure de soutien, une demi-heure de réunion et une heure de corrections et de rangement de la classe pour rentrer à la maison à 13h45 en n’ayant pas déjeuné…
Certains seront agacés. Ces profs, toujours à râler ! Je ne veux pas râler, simplement témoigner. Un calcul rapide : cette semaine, j’ai travaillé environ 42 heures, alors que je suis payée pour un 75% : un SMIC et demi avec trente ans d’ancienneté. Et j’ai encore trois ou quatre heures de travail chez moi en perspective ce week-end.
Voilà. Ce n’est pas tant un coup de gueule qu’un gros coup de fatigue…