C’est le jour du grand silence et de l’enfouissement. Mais le soleil est têtu et j’entends déjà dans mon cœur l’Exultet qui résonnera dans quelques heures, à la pénombre de la Vigile pascale. Demain c’est jour de fête, et j’ai rempli les placards et le réfrigérateur. Il y aura d’autant plus de joie en famille que ce carême a parfois été âpre.
Ce matin, j’avais d’abord deux petites courses à faire dans la vallée. Je repartais du premier commerce quand un élu d’importance, arrivé après moi, m’a galamment ouvert la porte avec un grand sourire en costume. J’ai souri aussi. Simple amabilité ou électoralisme ?
Je traverse la place pour aller chez la fleuriste, heureuse à l’idée de humer les délicats parfums et de choisir une composition de Pâques à offrir. Il est là, assis sur un banc. Celui dont beaucoup détournent le regard. Ses cheveux gris en broussaille et sa tenue mitée détonnent dans ce décor prospère. Il y a deux ou trois ans, on m’avait annoncé par erreur sa mort, et j’en avais conçu du chagrin et du regret de ne pas m’être arrêtée assez souvent près de lui. Alors, quand finalement je l’avais revu en vie, je me suis juré de lui faire signe désormais quand je le croiserais. Et du coup, j’avais su son prénom. Ce matin, il est tout sourire, un grand sourire édenté. Je lui demande de ses nouvelles et je l’appelle par son prénom. Il jubile, il me demande le mien dans son langage dont on ne comprend que l’intonation. Et quand je lui tends la main, au lieu de la serrer, il l’embrasse !
J’ai encore souri en allant acheter mes fleurs. Pour le coup, j’étais sûre que cette galanterie-là était sincère et sans aucun calcul…