On sort toujours de ces jours-là secoué et changé. Quelqu’un qu’on aimait est parti, dans des circonstances paisibles ou tragiques, notre histoire avec lui, avec elle ici-bas est achevée. Le deuil. Mille choses à faire, alors qu’on est bouleversé. Tous les détails à régler dans l’urgence. Et puis il y a ces pauses bienvenues : l’entretien avec le prêtre qui officiera, la cérémonie de funérailles, les retrouvailles avec la famille, qui sont la note heureuse de ces jours-là.
Je viens d’enterrer ma tante que j’aimais beaucoup. Elle était arrivée au bout de sa vie, oui, dans une succession de problèmes de santé qui ne cessaient d’entamer ses dernières forces. Depuis longtemps elle était rongée d’une culpabilité mortifère, elle qui a fait tant de bien autour d’elle tant qu’elle était valide. Pieuse jusqu’au scrupule, elle se disait sans cesse pécheresse, et j’avais beau souligner en elle tout l’inverse, elle persistait dans cette torture psychique et spirituelle.
Il me plaît de la revoir, belle et souriante, soignant un jardin plein de fleurs, dessinant avec un grand talent des portraits, des bouquets et des images pieuses, se dévouant auprès d’un prêtre âgé au service duquel elle est restée de très longues années, nous recevant avec amour autour d’une tarte aux pommes, chantant d’une belle voix aux offices religieux, rassemblant autour d’elle des enfants qu’elle catéchisait, nous racontant ses matinées passées à éplucher des légumes chez les Petites Sœurs des pauvres…
Mon papa, un vieux prêtre et moi. Nous tentons de restituer pour lui les grandes lignes de la vie d’Irène, qu’il a peu connue. Je voudrais qu’il retienne d’elle les deux lignes directrices de sa vie : le service et une grande humilité. Et la foi chevillée au cœur et à l’âme.
Elle n’a pas dû s’en rendre compte au cours de sa vie, mais je lui dois beaucoup. Mon prénom, qu’elle a choisi pour mes parents à court d’idées. Le modèle de sa foi, sa persévérance dans la prière. Je sais que pendant mes longues années de doute, elle priait pour mon retour vers l’Eglise, discrètement et patiemment. Elle a été exaucée, oh combien !
J’ai aussi en commun avec elle “une écharde dans notre âme”. Je ne lui en ai jamais voulu de cette hérédité qui nous a valu à toutes deux tant de souffrances. De là est née une intimité avec elle, une compréhension profonde de ce qu’elle vivait, qui n’était pas forcément accessible aux autres membres de la famille. Là où d’autres ne voyaient que du délire, j’ai compris souvent du tourment spirituel, qui peut être plus douloureux encore que la souffrance psychique.
Aujourd’hui, dans la foi, je ne suis pas triste. Je suis sûre qu’elle est montée tout droit aux côtés des saints par “l’ascenseur” de la petite Thérèse qu’elle affectionnait. Je rends grâce pour son âme enfin libérée de ses tourments, pour son corps soulagé des vicissitudes de la vieillesse. Mon histoire avec elle ici-bas est terminée. Mais j’ai gagné au Ciel un roc d’intercession sur lequel je n’aurai de cesse de m’appuyer. A Dieu, petite “pâquerette” du Seigneur, comme tu aimais à te nommer toi-même !
2 commentaires
Je me souviens bien de ta tante humble et gentille, son sourire pour nous quand nous étions ados, nous pleines de vie, elle pleine de sagesse il me semblait. Puis tu m’as dit combien elle était torturée, malgré une foi qui aurait dû la rendre heureuse… Qu’elle repose en paix, que son âme ait gagné l’amour absolu qu’elle recherchait.
Merci beaucoup Cathy, ton commentaire me fait chaud au cœur. Tu l’as peu connue, mais bien cernée !