Elle savait à peine marcher ; je devais préparer le repas pour la maisonnée, faire un brin de ménage… Je la mettais dans son petit parc en bois… et je la retrouvais à l’autre bout du salon, avec le parc, toute fière d’avoir réussi son exploit. Je pensais déjà que cette petite fille-là devrait beaucoup bouger plus tard.
La bougeotte, elle l’a toujours eue. Mais la bougeotte gracieuse et la fibre artistique. Pas toujours fidèle à une activité, elle était plutôt touche-à-tout, jusqu’à ce qu’elle trouve l’orientation qui lui convienne. Le lycée qui lui permettrait de se réaliser dans les matières qu’elle aimait et la danse.
Jeudi, c’était l’épreuve de danse du bac, déjà. Une salle plongée dans la pénombre, le jury, quelques spectateurs invités au silence et à la discrétion. Je suis là, entre sa sœur et sa professeure de danse, qui a été encore bien plus pour elle pendant ces deux années qu’une simple enseignante.
Ses camarades nous plongent déjà dans l’émotion. Et puis elle apparaît, en robe rouge vif, elle veut danser l’anorexie en hommage à une amie, à une autre peut-être… Elle évolue avec force et grâce, puissance d’évocation, maîtrise de sa chorégraphie qu’elle partage avec sa complice d’atelier. Pas un mot, mais tout est exprimé. Je retiens mes larmes, les yeux de sa sœur se mouillent, le jury se tait.
Improvisation encore. La voilà vêtue d’une robe colorée et fluide, elle danse la légèreté de la fleur et du papillon, elle nous surprend, elle glisse des références à des chorégraphies connues. Sa professeure, à ma droite, opine de la tête et approuve ses choix expressifs, le sourire qui lui mange le visage en dit long.
J’ai vu danser une femme, une artiste. J’ai vu danser une âme, un corps qui virevolte ses émotions, ses affections et ses pensées.
J’ai été fière. Et confiante.
Dans quelques mois, elle partira loin du nid. Elle déploiera ses ailes pour danser et danser encore la vie qu’elle s’est choisie, l’art qui l’a ravie.