Bizarre que j’y repense aujourd’hui. Ou plutôt non, puisqu’une élève aurait voulu en parler, mais que là, ce n’était pas le sujet du jour, le globe et le pied de lampe servaient aujourd’hui à comprendre ce qu’étaient une année, une saison, un mois, un jour… J’aime bien faire tourner le globe autour d’une lumière incandescente et leur parler années bissextiles ou non.
Bref, l’éclipse de soleil n’était pas le sujet de la leçon de structuration du temps d’aujourd’hui. Mais elle sera celui de ce billet.
Vous vous en souvenez, vous ? 11 août 1999. Moi, comme si c’était hier.
Je connaissais la date depuis des années. Normal, on fréquentait à l’époque un club d’astronomie.
Quelques semaines avant, j’apprends que nous ne serions pas dans la zone de totalité chez nous, et là, déjà, grosse déception. J’en rêvais tant, de ce moment magique et unique dans une vie humaine ! Pas grave. On pourrait aller la voir chez mes parents.
Là, il y eut un gros coup de canif dans la confiance conjugale. Depuis des années, vraiment, on connaissait la date. 11 août 1999. Et quelques jours avant, il me dit qu’il reprendrait le travail la veille. Comme un fait exprès. Alors qu’on avait tellement attendu de vivre ce moment-là, ensemble. On n’irait donc pas, avec nos enfants petits, à 300 km chez mes parents. Et adieu l’éclipse totale.
Ça peut paraître bête, mais ce fut une désillusion majeure dans ma vie de couple.
Je ne me suis pas laissée abattre. On était dans la fièvre qui avait saisi toute l’Europe. Tant pis, le jour J, je prendrais la voiture avec les deux aînés, et on roulerait tous les trois vers la zone de totalité.
Je n’avais pas pensé que toute l’Alsace du sud, la Franche-Comté et la Suisse auraient la même idée que moi. Ce furent les bouchons de notre vie. 80 km à peine en trois heures trente.
Il allait être midi, jour J, heure H. Et nous sur l’autoroute, pas encore dans la zone de totalité. Alors on a fait comme tout le monde. On a planté la voiture là, et on est sortis. Mes deux petits et moi, le pique-nique, les lunettes spéciales éclipse sur le nez, et ce satané horrible détestable nuage gris qui arrive juste à ce moment-là.
En un instant, un soir gris-jaunâtre, comme une angoisse au cœur, l’impression d’un énorme orage qui arrive, les lumières qui s’allument autour d’une usine au loin, les autres qui ne sont plus que des ombres noires autour de nous, toujours le satané détestable nuage maintenant noir, le froid, et puis c’est tout, la lumière qui revient peu à peu, et le goût amer, jusqu’à l’envie de pleurer, d’un événement si étrange mais définitivement manqué.
Mettre presque huit heures pour faire les 80 km dans l’autre sens.
Pourquoi est-ce que j’ai tellement une boule dans la gorge quand j’y repense, à cette éclipse de soleil ratée ?
Nos ancêtres y voyaient un signe de malédiction. Et ça a été un peu ça dans ma vie. D’ailleurs je me souviens très bien que la grande tempête de décembre 1999 avait exactement la même trajectoire que l’éclipse, le jour où notre salon de jardin est allé se fracasser contre la clôture.
Et moi je me suis fracassé peu de temps après l’esprit contre les murs de la raison et le silence indifférent de l’Eglise.
Il s’est pourtant passé tant de choses, depuis 17 ans ! Tant de malheur et tant de grâce mêlés ! Tant de mort psychique et tant de renaissance ! Tant de désespoir et tant de bouffées de bonheur incommensurable !
Ce qui n’a par contre pas – encore – changé, c’est la surdité de l’Eglise à mes appels.
Faudra-t-il que j’attende la prochaine éclipse de soleil ?