Quand revient le mois d’octobre, j’ai toujours une légère gêne, comme une entrave dans ma prière: on va me vanter encore et encore les mérites du rosaire. Or, même si je respecte absolument celles et ceux qui le prient avec ferveur, ce n’est pas du tout une prière qui me convient, ni dans la forme, ni dans le fond.
Dans la forme : je n’ai jamais supporté de prier des mots que je ne médite pas un à un. Je m’explique. Quand je dis un “Notre Père”, j’en pèse lentement chaque mot. Aucun n’est vain ni dit sans foi. Deux ou trois Notre Père me suffisent pour entrer vraiment dans la communion de cœur avec Lui. Et je suis alors prête pour un moment d’oraison – ce qui m’est d’ailleurs aussi tout à fait possible sans dire au préalable aucune prière “récitée”. Le plus souvent, dans ma prière, je m’adresse au Christ Jésus, et je n’ai alors besoin d’aucune formule “officielle” : c’est mon cœur et mon âme qui parlent au cœur ardent du Seigneur, ou qui l’écoutent. La communion se fait tout naturellement. J’ai toujours trouvé tout à fait étrange que des catholiques professent que seule Marie peut nous conduire à son Fils : ce n’est pas ce que je vis profondément. Je vais au Christ de cœur de femme à cœur de Fils de Dieu incarné dans la chair, comme une sœur parlerait à son frère ou une fiancée à son Bien-Aimé, et Marie n’a pas place dans cet échange.
Ce qui ne veut aucunement dire que je ne la prie pas, elle. Mais alors je la prie vraiment. Je m’adresse à elle et je la supplie d’intercéder dans mes demandes au Fils, au Père, au Ciel tout entier. Et quand je prie Marie, j’aime la conversation avec elle et le chapelet me devient un accessoire pesant. Il me pèse, m’ennuie, me lasse. J’assume de le dire aussi simplement. Ce rabâchage ne convient pas du tout à mon âme. D’ailleurs je ne dis de chapelet pratiquement qu’en pénitence après une confession, quand on me l’ordonne ! J’obéis. Mais ce n’est certes pas ainsi que je prie le mieux.
Quelle place donner à Marie dans notre prière ? Sa juste place, voudrais-je dire. Ne pas l’évacuer comme le font les protestants, avec lesquels j’ai cependant tant d’affinités ! Ne pas la mettre partout de manière obsessionnelle comme le font certains catholiques. Sa juste place. Bien réelle. Efficace et réconfortante. Mais non pas obsédante et envahissante.
Je vais me permettre un parallèle qui pourra choquer. J’assume.
Le Christ au pied de la croix nous a donné Marie comme mère. Oui. J’accepte cette option de foi.
Cependant, elle est avant toute chose la mère de Jésus, la sienne propre. Et je ne m’identifie jamais à Jésus incarné. Il est homme et je suis femme, nous sommes aussi dissemblables que pouvaient l’être l’homme et la femme des origines. Infiniment proches, mais diamétralement différents. Et si je lui ai donné ma vie, c’est, définitivement, de manière sponsale.
Jésus a une mère. J’ai ai eu – j’en ai une aussi. Je n’ai pas besoin d’une autre mère que la mienne. D’autant plus qu’elle aussi est au ciel.
Alors, quelle est la place de Marie dans ma vie ?
Eh bien, c’est plutôt celle d’une… belle-mère. La mère de celui que j’aime. C’est beau, et suffisant. Une belle-mère, on la rêve complice et aimante, et Marie l’est. Mais chacun comprendra qu’une belle-mère ne doit surtout pas devenir envahissante, ni s’accaparer son fils, ni devenir incontournable entre soi et lui.
Voilà. C’est la place de Marie dans ma vie. Ni plus. Ni moins.
Image : Notre Dame de Grasse Musée des Augustins, Toulouse
2 commentaires
Vous aimez vous concentrer sur chaque mot de votre prière, les laisser se déployer comme une fleur qui s’ouvre et délivre sa saveur..Simone Weil, mystique comme vous Véronique, faisait de même et pouvait passer une heure à prier le ” Notre Père”, recommençant quand son esprit s’ évadait..
Le chapelet, c’ est autre chose..La méditation de la vie du Christ par la méditation des mystères peut être très profonde aussi..Et les prières enchaînées comme une ritournelle, comme des babillements d’ enfant, peuvent guider ceux qui ne savent pas prier en s’adressant directement à Dieu et à Marie avec leurs mots à eux, où ceux qui sont fatigués et ont besoin de calme et de paix….C’ est une prière de confiance humble..En ce moment, je n’ ai pas la grâce et le goût pour le prier ( je m’endors), mais il m’ est arrivé de recevoir par cette simple prière au volant de ma voiture, joie et paix qui signent la proximité de l’ Esprit…
Oui chère Claire, je comprends tout à fait ce que vous dites.
En fait j’ai moi aussi une prière plus “récitée ” intérieurement dans certaines circonstances, par exemple quand je marche, j’enchaîne indéfiniment un “Je vous salue Marie”, un “Jésus notre sauveur” que j’avais rédigé en 1999 et un Notre Père. C’est que je trouve que dans le chapelet, il n’y a pas beaucoup de place, dans les mots, pour le Christ Jésus.
Et puisque j’évoque les mots, je vais plus loin dans mon aveu : deux choses me dérangent profondément dans le “Je vous salue Marie”. D’une part, je tutoie Marie et j’adapte donc – intérieurement bien sûr – cette prière en conséquence. L’autre est bien plus gênante et relève de ma prise de distance avec certains dogmes : j’ai beaucoup de mal à dire “Sainte Marie mère de Dieu” parce que Dieu, c’est pour moi le Dieu d’Israël et le Dieu trinitaire, avant tout le Père et en lui, le Fils et l’Esprit. Or, Marie n’est en aucun cas la mère du Dieu d’Israël et a fortiori du Père. Elle est sa fille et non sa mère ! La formule “theotokos” a été adoptée en Concile il y a longtemps, je le sais bien, mais si j’avais eu mon mot à dire à l’époque – et mon avis est valable, non moins que celui d ‘un clerc d’il y a des siècles – je n’aurais jamais été d ‘accord pour cette formule. Si je suis hérétique en disant cela, je l’assume. Non, Marie n’est pas mère de Dieu, elle est fille d’Israël et mère du Fils de Dieu, il y a une nuance…