Dans ma vie, j’ai eu une chance inestimable : avoir profondément désiré chacun de mes trois enfants, avoir pu les concevoir et les mettre au monde exactement au moment où nous en avions le projet, leur père et moi. Cette grâce m’a été faite de ne jamais avoir eu, dans ma vie, une grossesse qui m’ait pour le moins troublée, de ne jamais en avoir vécu une qui ne soit pas une joie immense à sa confirmation. C’est pour moi un grand bonheur, d’autant plus que mes trois enfants sont une source continuelle de joie et de fierté.
Pour cette raison, et pour bien d’autres, je ne me suis jamais trouvée vraiment légitime à donner publiquement un avis sur la difficile question de l’avortement. Ce n’est pas encore un “avis” que je souhaite donner aujourd’hui. Simplement témoigner d’une conversion de ma perception de l’IVG.
Longtemps, très longtemps, j’ai pensé qu’il existait une douleur incomparable : celle de ne pas être un enfant désiré. Celle de grandir sans tendresse de la part de sa mère parce qu’on avait été un fardeau dans son histoire maternelle. De cela, je peux parler, car c’est un peu mon histoire. Une histoire qui n’aurait jamais eu l’occasion d’être si ma mère avait vécu deux décennies plus tard et n’avait pas été chrétienne avec les valeurs qui étaient profondément ancrées en son cœur et en sa chair. Que diriez-vous aujourd’hui à une mère de trois jeunes enfants très rapprochés qui se retrouve encore une fois enceinte alors que le couple vit déjà dans une grande précarité matérielle? “Garde-le quand même !” ou un conseil tout autre ?
J’ai grandi tant bien que mal avec cette lancinante douleur affective d’avoir été fardeau pour celle qui m’avait donné la vie, et qui n’avait pas suffisamment de psychologie pour s’en cacher. Souvent, je me suis demandé : “A quoi bon ?” Souvent, j’ai pensé qu’il valait mieux ne pas naître que de se savoir non désiré.
Alors l’avortement, je pouvais le comprendre, même si cela m’a toujours fait mal quelque part. Me dire que ma vie relevait de la chance d’un tabou des années soixante et de la foi d’une mère. Cela a été le plus difficile quand justement, je n’avais plus la foi. Je comprenais encore moins ceux qui agressaient des jeunes femmes devant une clinique avec un chapelet en main que les jeunes femmes qui se rendaient à cette clinique. C’était elles que j’avais envie de protéger, et non les combattants du rosaire.
Mon entourage amical faisait aussi que j’entendais des récits d’avortements qu’on me présentait comme inéluctables et salutaires. J’aimais – j’aime toujours – ces amies et je respectais leur libre choix. Et puis j’avais des idées de gauche, alors il fallait bien les assumer jusqu’au bout. Non pratiquante à l’époque – dans les années 80 – j’avoue aussi que je n’aimais pas beaucoup le discours du pape Jean-Paul II, sa vision de la femme et du couple, son matraquage contre l’avortement. Tout cela faisait que j’avais une relative tolérance pour cet acte, tout en me disant que je me sentais incapable de le choisir si la question se posait cruellement à moi un jour – et Dieu merci, elle ne s’est jamais posée !
Un jour pourtant, mon regard s’est converti. Beaucoup plus tard. Jean-Paul II – que je n’idolâtre pourtant pas du tout – m’a rattrapée là où je ne m’y attendais pas. C’était à l’occasion de son procès en béatification. Cette religieuse guérie miraculeusement, à son intercession, de la maladie de Parkinson. Un témoignage suffisamment fort et attesté pour être crédible.
Où travaillait cette religieuse ? Dans une maternité !
Cette coïncidence m’a bouleversée. Depuis longtemps déjà, je vivais mal cette distorsion entre ma foi désormais pratiquée ouvertement et ma difficulté à admettre le langage de l’Eglise, notamment sur la question de l’avortement. Et là, j’ai ressenti que le Seigneur me donnait un signe : cette religieuse miraculée travaillait dans une maternité, là où naissaient des bébés, désirés ou non, mais où ils naissaient !
C’était aussi le temps où je ressentais de plus en plus fort ma vocation de consécration au Seigneur. Sur cette insoluble question de l’avortement, je recevais enfin un éclairage.
Alors certes, je ne militerai jamais du côté des “pro-vie” parfois trop péremptoires et agressifs, je ne jetterai jamais la pierre à une femme qui a eu recours à une IVG – et je sais que derrière de très nombreux avortements, il y a un refus de paternité – je ne chercherai pas à remettre en cause une loi de notre pays, mais oui, aujourd’hui, je peux le dire, je me situe dans l’actuelle polémique sur le “délit d’entrave à l’IVG” du côté de l’embryon qui a le droit de croître dans le ventre d’une mère qui a le droit d’être informée qu’il est déjà puissance de vie et pas seulement amas de cellules informes. Parce que dès cet instant-là, j’en suis intimement persuadée, Dieu a un projet sur lui.
« Avant même de te façonner dans le sein de ta mère,
je te connaissais ;
avant que tu viennes au jour,
je t’ai consacré ;
je fais de toi un prophète pour les nations. »
Jérémie 1,5
7 commentaires
Le problème est si complexe, dans les pays occidentaux de cultures chrétiennes, il a été résolu selon une loi profondément et très longuement débattu. Ce fut une procédure qu’on pourrait, à titre personnelle, refuser, mais en tant que loi admise dans les pays concernés, on ne peut que la respecter.. C’est cet entendement qui fait que je comprends mal votre attitude envers la loi Veil (en France).
Ceci dit, je vous félicite pour votre article, j’ai apprécié surtout le témoignage,
Merci à vous et bon courage.
Merci Mustapha, amitiés ! 🙂
Merci Véronique d’ exposer votre point de vue sur ce sujet délicat qui peut être clivant. Je le partage, et souhaiterais que chacun puisse s’exprimer sans se sentir jugé, ni les femmes ayant eu recours à l’avortement bien sûr, ni ceux qui en dépit des critiques essaient de défendre la vie de l’ embryon, qui est parfois déjà un foetus à la fin du temps légal autorisé…Nous connaissons tous des adultes non désirés qui ont ensuite été aimés et dont nous n’ envisageons pas la non- existence..Est ce que essayer de proposer une autre solution que l’ avortement est à ce point répréhensible? Est il normal que aucun enseignant ne soit autorisé à donner un comprimé de doliprane à un jeune si nécessaire sans l’ accord des parents mais qu’un mineur puisse avorter sans même qu’ils en soient informés? Que la violence des pressions parfois exercées sur une jeune femme pour qu’ elle avorte ne soit si rarement pénalisée? Que la souffrance de certaines femmes ayant avorté soit niée au point que contrairement aux études scientifiques et à de nombreux témoignages, le site gouvernemental fasse de la propagande en affirmant que le traumatisme post- avortement n’ existe pas? Tout cela n’ est pas ajusté, et j’ ai beaucoup de mal à comprendre cet acharnement à banaliser un acte qui malgré tout reste un drame..au moins pour l’embryon qui ne naîtra pas, et très certainement aussi dans bien des cas pour sa maman…
Merci Claire, oui, je me reconnais aussi dans ce que vous écrivez. Je n’aurais pas pensé à faire ce parallèle édifiant avec le “Doliprane ” – ce qui est tout à fait vrai – mais il est évident qu’il y a eu un glissement net vers la banalisation de l’avortement dans le discours public de notre pays.
Lire “que les pro-vie voudraient…” et “conditions sanitaires satisfaisantes qui préservent…”
Merci Adamev de votre contribution ici.
Je ne remets pas en cause la loi Veil, mais le fait que l’avortement soit tellement banalisé de nos jours, du moins en France, qu’on cherche à le dépouiller de tout aspect moral, de toute nécessité de réflexion poussée. Ce que je déplore, c’est un climat social de pression massive en faveur de l’avortement. N’en vient-on pas de nos jours à culpabiliser les parents qui font par exemple le choix de laisser naître un enfant qui ne soit pas à 100% conforme à l’attente de la société ?
Madame,
Vous avez eu en effet la chance inestimable d’être mère quand vous l’avez voulu (importe peu la manière par laquelle vous êtes arrivée à cette régulation). Vous avez également la chance d’avoir une vie qui, sans forcément être aisée n’est pas totalement dépourvue de facilités. Ce n’est hélas pas le cas de très nombreuses femmes et vous le soulignez très bien en raison de problèmes matériels voire en plus face à un déni de paternité.
Je salue et respecte votre conversion qui sans approuver les pro-vie vous place du côté de l’embryon. Qui ne le ferait pas? Pour ma part je me place du côté des femmes, vos consoeurs, que les pro-vie voudrait voir retourner aux cuisines des faiseuses d’anges. Je ne juge pas celles qui ont recours à l’avortement malgré les solutions alternatives proposées par l’état. Je n’ignore pas qu’il s’agit là d’un acte grave, même immoral. Mais ce qui me parait tout autant immoral, contraire au bien public, constituant un trouble à l’ordre public serait de les abandonner sans leur proposer d’accomplir cet acte, que toute personne sensée réprouve, dans des conditions sanitaires satisfaisantes qui préserve leur santé immédiate et leur capacité ultérieure d’être mère.
C’est la raison pour laquelle même si je suis du côté de l’embryon je suis aussi favorable à l’IVG, à la loi Veil contre les menées politico-religieuses des pro-vie.
Sincèrement
Adamev (sur DA).