C’est un phénomène récurrent dans notre pays, ailleurs sans doute aussi. Régulièrement, la presse et les médias se saisissent d’une personnalité, en général déjà connue d’une manière ou d’une autre, qui a été éditée pour témoigner d’une “super conversion”, de l’athéisme ou de l’agnosticisme vers le christianisme, du judaïsme vers le catholicisme ; vers l’islam, c’est très rarement avec un regard bienveillant.
Il ne faudrait d’ailleurs pas se leurrer : la médiatisation des convertis au christianisme n’est dans notre pays pas si bienveillante que cela. Bien sûr, on retrouvera les “super témoins” édités par les éditeurs chrétiens et sur le plateau du “Jour du Seigneur” où on les reçoit avec force superlatifs. Dans les milieux croyants, ils deviennent vite des références absolues, un peu comme une bouée à laquelle le chrétien méprisé en France se raccroche pour prouver à son entourage que “même lui”, “même elle” exposés médiatiquement se sont convertis au Christ.
Il y a quelques années, la sphère catholique ne jurait que par Thierry Bizot. Il me semble qu’il a voulu évoluer vers une foi un peu plus humble et plus cachée.
Ces derniers temps, j’observe, un peu dubitative, le tapage autour de la personnalité de Véronique Lévy, cette femme d’origine juive convertie au catholicisme et baptisée en 2012. Comme elle a publié deux livres en peu de temps, on la voit beaucoup dans la presse et sur les plateaux télé.
On m’a offert son ouvrage “Adoration” à Noël (Editions du Cerf) et je l’ai lu. Je reste un peu perplexe. Une belle plume, c’est indéniable. Une conversion absolument sincère et authentique, je le crois aussi. Je suis plus gênée au sujet de ses “dialogues mystiques”. D’une manière générale, je suis très réservée quant aux mystiques qui font parler le Christ Jésus à la première personne. Les révélations où “Il” s’exprime de manière ampoulée, en se mettant toujours en avant, en appelant son interlocutrice “ma minuscule” et autres mots de ce genre me laissent songeuse. Jésus s’est-il jamais adressé à une femme, dans l’Evangile, en l’appelant “Ma minuscule” ? Non, au contraire, il la fait mettre debout, il la justifie devant ses accusateurs, il lui souhaite la paix du cœur pour la suite de ses jours, il la libère de ce qui l’entrave et il l’appelle par son prénom ou “femme”, ce qui n’est à mes oreilles pas du tout un manque de respect, mais au contraire, une prise en compte de toute la personne de cette autre qu’il a en face de Lui. Jésus ne s’adresse jamais à une femme avec condescendance. Ne confondons pas certains clercs et le Christ !
Ce genre de formule réductrice, dans la plume des mystiques, témoigne plutôt à mon avis du besoin de se faire passer pour humble à tout prix. Quand l’exposition médiatique ruine l’humilité, on tente de la sauver par des formules soulignant la petitesse de l’orante dans les prétendus “dialogues mystiques”.
Autre chose me gêne dans les écrits de Véronique Lévy : c’est l’allusion à la femme foncièrement pécheresse, le mythe d’Eve cause de tout péché. J’imagine que ces allusions ont beaucoup plu à certains clercs qui ont lu cette œuvre ou l’ont même préfacée. Il y a pour une certaine frange de l’Eglise deux sortes de femmes : les pécheresses congénitales, que nous sommes toutes censées être, et la Vierge Marie, parfaite, pure, éthérée… Alors, quand une femme vient faire étalage de ses dérives puis de sa vertu réinitiée par sa conversion au Christ, le vieux fond misogyne des clercs du catholicisme radical exulte. On préface et on aide à faire éditer !
La propulsion médiatique comporte aussi ses risques, le premier étant la récupération idéologique. Et la mystique inspirée de se mettre à parler mariage pour tous, GPA , PMA et clonage, tout ce que l’on attend d’elle sur un féroce plateau télé où on la confronte – non pas pour lui donner l’occasion de s’exprimer, mais surtout pour la ridiculiser – à l’avocat de Charlie Hebdo ou à un journaliste de Marianne (émission “Polonium” du 6 décembre 2016 “Jésus revient, vraiment ?”).
Le monde médiatique français est ainsi fait que la pensée unique cherchera toujours à ruiner le témoin de l’Evangile qui tente d’y faire entendre sa petite voix. Avec la meilleure volonté de témoignage au départ, on peut très vite s’y brûler les ailes. C’est ce que je crains pour cette frêle personne qui ne me semble pas la mieux habilitée à débattre de notre foi commune sur les médias.
Quant à moi, je me réjouis chaque jour d’avoir choisi et préféré l’enfouissement et le pouvoir de l’écriture et uniquement celui-là.
Image : Marie-Madeleine annonçant le tombeau vide / la Résurrection aux disciples, Psautier de Saint-Alban, 1120