Elle a 23 ans. Moi, quelques jours. Il faut que je tente de me figurer la scène, car il n’existe aucune photo. Il aurait pu y avoir un bout de film Super 8 à la sortie de l’église, mais la caméra de mon oncle est tombée en panne ce jour-là.
Elle me serre donc dans ses bras, et je serai d’ailleurs l’un des seuls nourrissons de quelques jours qu’elle étreindra ainsi contre son cœur, elle qui n’a jamais eu la joie d’être maman.
Face à elle, il doit y avoir mon parrain, si différent d’elle dans son raffinement personnel et social, elle qui est simple parmi les simples.
Et mon oncle, tout jeune prêtre, qui fait couler l’eau du baptême sur mon front et me marque de l’huile sainte.
J’y pense fort, car c’est un moment fondateur de ma vie. Et elle était là.
D’ailleurs, elle a toujours été là pour moi. On est un peu chouchoutée quand on a une marraine qui n’a pas pu avoir d’enfant. Presque toujours, elle m’a appelée “ma fille”. Et d’une certaine manière, je l’étais, même si les liens du sang entre nous deux étaient un peu ténus.
Elle avait très peu pour vivre, mais pas un Noël sans que j’aie mon cadeau, une montre, que j’ai gardée précieusement, le jour de ma communion, et puis des cadeaux d’adolescente, comme ce petit poste de radio blanc qui m’a rendue si heureuse quand je pouvais écouter le Hit parade dans ma chambre. Une paire de draps vert pomme à petites fleurs blanches que j’ai encore, aussi. Elle prenait sur son indigence pour me choyer.
J’ai pris conscience de la haute valeur de ses gestes d’amour à l’âge adulte. J’allais la voir de temps en temps, en famille, puis seule, avec ou sans enfant. Elle était douée pour raconter de vieilles anecdotes familiales qui nous faisaient rire ou aussi grincer des dents. Pas toujours facile, une vie de famille au sens élargi dans un milieu rural un peu abrupt…
Puis la maladie, sournoise, qui l’a fait paraître en quelques mois bien plus âgée que son âge véritable. Rongée de l’intérieur par des cellules impitoyables, elle dépérissait mais le cœur tenait bon. Elle racontait encore, et volontiers. Jusqu’à ce jeudi. Un coup de fil en pleine classe, je n’ai même pas eu besoin de décrocher pour savoir.
De sa chambre de soins palliatifs, sa dernière vue aura été une Vierge, les bras grands ouverts.
Elle m’a serrée contre son cœur au jour de mon baptême dans l’eau et l’Esprit.
Père, Fils, Esprit, Marie, serrez-la à votre tour contre vos cœurs ineffablement aimants !