Il y a trente-trois ans, ce fut un véritable voyage initiatique pour moi. J’avais 20 ans, très peu voyagé jusque là, et un périple de trois semaines avec quelques amis à travers le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Mali m’en avait appris plus sur moi-même et l’humanité que toutes les années qui avaient précédé. Je suis restée marquée pour toujours par ce voyage, et j’ai dû en parler beaucoup à mes enfants pour que l’idée de partir à son tour au Burkina Faso germe cette année dans l’esprit de ma fille de 24 ans.
Revenue de son voyage dimanche, elle m’a partagé son vécu et son ressenti, et penchées sur nos photos respectives, nous avons beaucoup échangé sur nos perceptions et sur les réalités de ce pays, l’un des plus pauvres du monde.
Le contexte international ayant totalement changé en trois décennies, nous n’avons pas entrepris nos voyages de la même manière. J’étais partie sac au dos avec deux amies et quelques contacts dans les missions catholiques qui nous accueilleraient et nous nous sommes déplacées librement, sans nous sentir jamais en danger, dans ces trois pays, en compagnie de deux Bretons rencontrés à l’aéroport. C’était bien avant le terrorisme islamiste, il n’y avait pas de précautions particulières à prendre sinon quelques vaccins et les comprimés de nivaquine contre le paludisme.
Ma fille, pourtant de nature bien plus aventurière et sportive que moi, n’a pas pu envisager son voyage de telle façon. Elle est donc partie avec un groupe d’une quinzaine d’adultes et des hébergements prédéfinis, dans le cadre de rencontres chorégraphiques et musicales.
En comparant nos photos, le vert, sur les siennes, m’a frappée. Dans les années 80, cette région de l’Afrique connaissait des sécheresses dramatiques. Cette année, par contre, les pluies ont l’air là-bas abondantes. J’ai remarqué une certaine évolution dans l’habillement et l’habitat, mais finalement assez minime en plus de trente ans. Ma fille comprend comme moi qu’il s’agit là-bas avant tout de survivre en combattant la misère et des conditions sanitaires très difficiles. Elle a souffert particulièrement durant son séjour de l’inconfort et du manque d’hygiène, souvenirs qui se sont un peu estompés en moi pour laisser peu à peu place à l’acquis sur le plan humain et spirituel. Là, nos ressentis divergent assez considérablement. Le fait d’être en grand groupe occidental a limité ses contacts directs avec la population, tandis que moi, accompagnée pendant une semaine au Burkina par un missionnaire catholique, j’avais pu entrer en relation avec des jeunes et des familles qu’il connaissait sur place dans le cadre de sa mission. Echanges infiniment riches qui se sont prolongés pendant quelques années. Comme je l’ai déjà raconté ailleurs sur ce site, mon voyage en Afrique a été pour moi une expérience profonde de quête de la foi chrétienne. Le contexte d’alors s’y prêtait dans ces terres. Ma fille s’est retrouvée là-bas davantage en terre d’islam, et nos points de vue en sont différents.
En tout cas, c’était très émouvant pour moi de la voir partir ainsi sur les traces de ma jeunesse, en revenir avec des souvenirs à la fois comparables et très différents, de pouvoir partager entre adultes sur nos deux expériences et renforcer encore ainsi, s’il était besoin, le lien mère-fille très fort qui nous unit.