J’ai eu cette chance, dans ma vie, de sortir plusieurs fois pour des années plus ou moins longues des milieux les plus prégnants de mon existence, les quittant un temps pour mieux y revenir ensuite. Et ces parenthèses m’ont permis de nuancer mon regard sur ces milieux et ceux qui ne leur appartiennent pas.
Edifiante fut pour moi l’expérience de vivre deux ans, puis quelques années plus tard quatre ans de congé parental. Je quittais ainsi l’école, l’Education Nationale qui avait été le cadre de ma scolarité et dans la même continuité de ma profession pendant si longtemps. Eh bien, on peut m’en croire, on n’a pas le même vécu quand on est “dedans” ou “dehors”. J’ai vécu les devoirs à la maison trop lourds pour des enfants fatigués par une journée de classe, l’étonnement du parent devant la tâche inadaptée aux prérequis de son enfant. J’ai vécu aussi l’attente devant – et non derrière – la porte fermée de l’école avec un bébé dans les bras plus de quinze minutes quand une classe sortait très en retard, j’ai entendu les conversations des parents au sujet des enseignants trop ceci ou pas assez cela, j’ai préparé certaines années un pique-nique par semaine pour des sorties répétées et pas toujours très pertinentes pédagogiquement, j’ai été de ces parents convoqués parce que l’enfant présentait un changement de comportement, et j’ai fait face aux questions indiscrètes sur les causes de son trouble passager… J’ai été de ces mamans qu’on jugeait désœuvrées parce qu’à la maison et ne se précipitant pas pour accompagner une classe à la piscine, j’ai été soupçonnée comme toutes les autres dans mon cas de regarder la télé pendant la sieste de mes petits tandis que ces pauvres maîtresses s’échinaient au travail… Ce discours au sein des écoles, je le connais très bien. Et croyez m’en, quand on a été “mère au foyer” et rien de plus pendant quelques années, on ne le vit pas très bien venant de celles qui pourraient être des collègues. Combien plus alors quand de sa vie, des collègues, on n’en a eu aucune, par choix ou faute de trouver du travail !
Cette expérience m’a définitivement servi, je pense, à sortir des jugements hâtifs sur “les parents”, cette caste “d’ennemis publics N°1” comme me le disait une amie entrée tardivement dans l’Education Nationale et qui fut estomaquée, après avoir été travailleuse sociale, du langage qui avait cours dans les écoles et même en formation, dénotant une méfiance viscérale des enseignants vis-à-vis des parents de leurs élèves. Il est bon, parfois, d’avoir été, dans un milieu donné, “l’autre”, fût-il “ennemi public N°1”.
Il est un autre milieu que j’ai vécu “de l’extérieur”, et pendant plus longtemps cette fois. C’est l’Eglise catholique, à laquelle j’ai été des plus fidèles pendant une vingtaine d’années, puis à sa porte hormis pour des fêtes familiales où j’y entrais un peu contrainte, et assidue à nouveau comme “recommançante”, comme on dit dans ce milieu-là, depuis une bonne vingtaine d’années à nouveau. Je n’ai pas la religiosité d’une convertie partie d’un néant de la foi et de la connaissance de l’Eglise, et qui se croit de ce fait obligée d’avaler tout entier le catéchisme en signe de repentance de ses années d’indifférence religieuse. Mon vécu est tout autre. J’ai passé les années de ma vie de jeune adulte hors de l’Eglise parce que la foi m’avait été arrachée violemment au contact du monde, et en outre que le discours de l’Eglise catholique romaine était incompatible avec mes aspirations de jeune femme à la liberté, à la sagesse patiemment construite, au désir de rencontrer l’autre en un partenaire masculin. Demeurer fidèle à l’enseignement catholique, c’eût été brimer profondément ma chair et l’attacher pour toute ma vie à un partenaire imparfaitement connu, et Dieu sait si on m’a fait du mal dans ma vie amoureuse et que “l’époux” idéalement décrit dans le catéchisme, je ne l’ai tout simplement jamais rencontré.
Demeurer fidèle à l’enseignement de l’Eglise catholique, c’eût été pour moi refuser toute contraception efficace et devenir mère d’une famille très nombreuse, compromettant ainsi définitivement mes aspirations à travailler et à ne pas dépendre d’un homme en toute chose. Je le dis comme je l’ai vécu, être une pratiquante catholique fidèle dans les années Jean-Paul II en étant une jeune femme au tempérament libre, c’était tout simplement impossible.
Alors aujourd’hui que j’ai atteint l’âge d’une certaine sagesse, que l’on ne vienne pas m’en conter, même si on porte un col romain bien amidonné. J’ai cru, vu et vécu bien plus profondément que beaucoup de dévots, sans jamais que mon éloignement ne soit de l’indifférence à l’Evangile du Christ. J’ai appris, hors de l’Eglise, qu’une femme avait le droit de mener sa propre existence sans être contrainte sans arrêt par des règles édictées par le père, le mari, le curé ou la pape… toujours des hommes. Qu’on essaie de me prendre aujourd’hui en défaut de foi à la Parole du Père en Jésus-Christ : on n’y parviendra pas. L’épaisseur de mon expérience de vie de femme honnête et croyante vaut bien des théories édictées depuis des siècles par de vieux garçons célibataires réunis entre eux à l’exclusion de toute femme qui aurait pu leur apporter un éclairage crucial.