Mes trois sœurs et moi, assises à la table de notre papa, dans une ambiance un peu grave et silencieuse.
“Il est temps que vous vous partagiez les bijoux de votre maman.”
Il ouvre les petites boîtes, la larme au coin des yeux, et nous découvrons avec une émotion infinie ce qu’elle portait souvent, ou parfois, ou jamais. Elle n’était pas une grande coquette, notre maman, et dans ces écrins, il y a surtout des signes religieux, des bijoux familiaux, des marques de l’amour fidèle de son mari pendant plus de cinquante ans. Un Christ en croix, qu’elle portait toutes ses dernières années, m’appelle un peu mais ma sœur aînée le désire. Je ne pense pas que je l’aurais porté : Jésus est dans mon cœur plus vivant que mort, et j’ai toujours eu un peu de mal à arborer des bijoux très catholiques. Mon autre sœur se pare du collier le plus lourd en or. C’est tellement peu étonnant qu’aucune autre ne proteste. Il y a là aussi sa bague de fiançailles, que petite fille, je lui ai vue très souvent au doigt. J’en suis émue. “La bague, je peux ?” Elle avait les doigts plus fins que les miens, je dois forcer un peu, mais j’aime ce signe de leur amour qui nous a engendrées toutes les quatre.
Et puis il y a là un bijou que je ne connais pas du tout, une croix carrée, un peu étrange. Jamais je n’ai vu notre mère la porter.
“Qu’est-ce que c’est, ça, papa ?”
Il me répond que le frère prêtre de notre mère a rapporté cette croix sur chaîne en or de son unique pèlerinage en Terre Sainte, quand il était jeune. Cela m’étonne un peu. Jamais nous ne l’avons vu aussi généreux avec notre maman. Mais c’est ce bijou-là qui m’attire, et aucune de mes sœurs ne va me le contester.
Au retour chez moi, je me renseigne sur le net, et je comprends que c’est une croix de Jérusalem, un emblème très ancien, peut-être déjà des premières communautés chrétiennes. Un signe religieux qui me convient tout à fait.
Des années plus tard, voyant une photo de ma grand-mère à une fête de famille, je remarque ce bijou autour de son cou. Je comprends, beaucoup moins étonnée, que c’est à sa mère que mon oncle l’avait offert jadis et qu’il est parvenu à la mienne au décès de leur maman. Ainsi, cette croix fait le lien, autour de mon cou, entre deux femmes qui se sont tant déchirées leur vive durant.
J’aime porter ma croix de Jérusalem. Dès que les vacances arrivent, ou le dimanche, je la sors de son écrin et je la porte avec reconnaissance, bénie qu’elle a été dans la Ville Sainte. Et puis quand reviennent les jours de travail, je l’enlève à regret. C’est ainsi en France, je suis fonctionnaire, je n’ai pas le droit d’arborer un signe religieux sur moi pour faire classe. Je l’enlève toujours à regret. Car entre son histoire religieuse et nos transmissions familiales, cette croix me protège partout où je vais, je le sais, et je me sens davantage témoin de ma consécration quand je la porte sur moi.
2 commentaires
Je l’ai vu porter cette croix aujourd’hui, discrètement, en ce jour béni de nos amicales retrouvailles : beau symbole de transmission de la foi malgré les parcours différents et parfois divergents de chaque maillon de la chaîne familiale.
“Jérusalem disait : “Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée.” Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fruit de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas.” (Isaie 49,15)
Merci Laure, un gros bouquet d’amitié à toi !