Ce texte est un article qui m’a été commandé pour la revue “Souffles” (présences et perspectives en santé mentale) N°210 parue en Janvier 2014. La rédaction m’avait conseillé de ne pas le signer.
En ce Vendredi Saint, j’ai décidé de le partager aux lecteurs de ce blog. C’est ma propre traversée vers Pâques, car je peux aujourd’hui témoigner de ma joie de vivre, même si rien n’est oublié.
Le vécu que je relate ici date d’il y a treize ans. Je souffrais depuis près de deux ans de troubles de l’humeur non diagnostiqués et non soignés. Mais le souvenir très vif que j’ai gardé de cette HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) m’a longtemps hantée. Depuis, à la faveur d’un traitement psychiatrique très bien dosé et d’une relation thérapeutique excellente avec ma psychiatre actuelle, mes troubles de l’humeur sont résorbés. Mais vivant une vie de prière intense, j’ai pris conscience aussi que tout un pan de cette expérience spirituelle avait été négligé au moment de cette hospitalisation. Ce que je vivais était suffisamment rare pour échapper totalement à la compréhension et à la prise en compte des soignants, d’où mon acceptation aujourd’hui de le partager pour interpeller des professionnels et s’il était possible, réconforter d’autres patients qui peuvent se sentir malmenés pendant une HDT.
Février 2001. Je suis épuisée. Trop de luttes intérieures, trop d’incompréhension tout autour de moi, trop de refus de me recevoir et de m’écouter. Trop de harcèlement psychologique sous mon propre toit. Trop de jours où je voudrais mourir tellement je souffre intérieurement.
Je viens de vivre une expérience spirituelle majeure. Avec l’aide d’un tiers très saint, une prise de conscience radicale de tentations intérieures que j’ai subies pendant presque un an. Je me suis effondrée en larmes dans une basilique en prenant conscience que j’avais été le jouet du Diviseur là où je croyais vivre des expériences spirituelles divines.
Je suis rentrée chez moi après une fugue bien organisée, rien ne manquait dans ma valise. J’exprime mon accord pour aller me reposer à l’hôpital. Mais voilà que le jour dit, plusieurs personnes de ma famille sont là, une HDT a été signée. On croit que je vais me débattre pour ne pas aller à l’hôpital. Il n’en est rien. Je suis calme et résignée. Ils auraient tous pu rester chez eux plutôt que de m’accompagner dans ce lieu humiliant.
Je n’avais jamais passé la porte d’un pavillon de psychiatrie plus loin que le salon des visiteurs. Je suis effarée par ce que je vois. La cour des miracles, et moi au milieu, avec mes cheveux bien coiffés d’un brushing frais.
On m’emmène à ma chambre ; ma chambre, que dis-je, nous sommes quatre. Moi qui aime la solitude ! On me fait déballer ma valise. Je ne sais pas combien de temps je vais rester, alors j’ai emporté tous les livres que je ne trouvais pas le temps de lire chez moi. Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix, un ouvrage sur le dialogue entre Juifs et chrétiens. L’infirmier ricane en voyant tout ça.
On me fait vider mon sac à main. Je trouve ça humiliant. C’est intime, le contenu d’un sac à main, et cela fait longtemps que je ne l’ai plus rangé ! Ils mettent tout cela dans un sachet plastique qu’ils donneront à mon mari. Comme si le contenu de mon sac à main le regardait ! On me fait compter mon argent jusqu’à mon dernier centime, et je trouve cela parfaitement ridicule, d’autant plus que l’on vérifie du même coup si je sais compter l’argent.
Le passage aux toilettes est une épreuve. Il y a une fenêtre sur la porte, parfaitement transparente, et le service est mixte ! Je m’en plains, je suis pudique. On en tiendra compte, en répartissant hommes et femmes à chaque bloc sanitaire de l’étage le temps où je suis là.
Le soir, c’est la distribution des médicaments. On ne me dit pas ce que je vais avaler. C’est un gobelet au contenu rose. J’avale.
Alors que je veux me coucher, je sens monter en moi le malaise. La tête me tourne. Je préviens ma voisine de chambre, et je me dirige vers l’infirmerie. L’infirmier est debout dans le couloir, je lui dis que je vais perdre connaissance. Il ricane. J’entends, déjà dans un brouillard épais : “Allez, on arrête de simuler…” et je perds connaissance, je tombe à ses pieds. Il ne me relève pas, c’est la voisine de chambre qui le fait. Je me sens en plein cauchemar. Je me couche dans un état pire que celui dans lequel j’étais trois jours auparavant.
Dans la nuit, je sens qu’on s’agite autour de moi, mais je n’arrive pas à reprendre vraiment connaissance. On me prend la tension. J’entends : “C’est quoi cette m…”‘
Je me réveille en enfer. Un sèche-cheveux bruyant, une voisine surexcitée parce qu’on lui a volé un pot de miel, une autre voisine qui fait entrer des hommes qui me font peur. Et la bouche pâteuse, aucun appétit pour le petit déjeuner. J’apprends qu’hier, j’avais huit de tension. On va me la prendre quatre fois par jour à partir de ce moment-là. Aujourd’hui, je refuse le traitement en disant qu’il était trop fort la veille, que je me suis évanouie. Le psychiatre me dit que je suis en HDT, qu’il a obligation de me soigner, que si je ne vide pas le gobelet, j’aurai une injection. Je leur dis que je suis très obéissante, et ils me font une injection. L’infirmier, toujours le même, a un petit sourire cynique : “Ça vous remettra les idées en place.”
Trois jours de brouillard total, je ne peux même plus lire et prier, et c’est ce qui me rend le plus malheureuse. La visite de l’aumônier et un sacrement de réconciliation reçu seront une lueur d’espérance dans cette noirceur épaisse. L’ASH a pitié de moi quand elle voit que je n’arrive même plus à me lever à l’heure des repas. Je sympathise avec elle. Elle a neuf enfants !
Je suis restée trois semaines dans ce qui était l’un des pires pavillons de cette grande structure, porte verrouillée, pathologies lourdes, pas de sanitaires dans les chambres, certains malades en long séjour. Mais les liens fraternels que j’ai tissés avec les autres patients du service ont été, avec les offices religieux, ma seule consolation. Peu m’importait désormais l’infirmier qui me disait de ne pas tant m’occuper des autres. J’ai appris là-bas la solidarité entre malades sous contrainte. Pour longtemps.
1 commentaire
Chère Véronique, je relis ce texte et suis toujours profondément émue. Je ne vous écris pas souvent mais je suis, assez régulièrement, vos commentaires d’évangile. Merci pour votre parler vrai et pour votre délicatesse d’écriture. Bien amicalement à vous, Monique.