Je suis sûre que si on posait la question de savoir ce qu’est la fête de Pâques aux petits Français d’aujourd’hui, la grande majorité répondrait que c’est la fête du chocolat : la chasse aux œufs, les poules, les lapins, les cloches en chocolat.
Leurs parents se justifieraient : c’est un rituel qui marque le passage de l’hiver au printemps, proche de l’équinoxe, on fête l’explosion de vie dans la nature. Ils ajouteraient même que les fêtes religieuses se sont greffées sur ces rites païens par opportunisme. Chacun décore sa table avec ces symboles qui changent un peu du gris de l’hiver. On fête Pâques en famille, contrariés quand il pleut et que les enfants ne peuvent pas ramasser leurs surprises dans le jardin. Au soir, on range tout ; reste le chocolat qu’il va falloir manger, au placard les bonnes résolutions de “régime maillot de bain” ! On se plaindra un peu sur le pèse-personne les semaines suivantes. Et on attendra la prochaine fête commerciale pour faire diversion dans un quotidien un peu monotone.
Face à cette concordance de vues sur la journée du chocolat, j’ai l’air un peu trouble-fête si j’ose annoncer ma foi. Ma foi chrétienne. Ma foi en la résurrection du Christ. Ma foi en ce recommencement de vie qui n’est lié ni à la saison, ni à ce que j’ai en ce moment dans mon estomac.
J’ai vécu une pâque ces derniers jours, une véritable pâque. Aux Rameaux, le décès d’une dame que j’aimais tant, avec laquelle j’avais en commun la foi et la vie paroissiale. J’ai passé la moitié de la semaine sainte à la pleurer, d’autant plus que mon administration ne m’a pas autorisée à aller à son enterrement. Que viennent faire dans la vie professionnelle des liens de cœur et d’Eglise ? Ces liens-là ne comptent pour rien dans une gestion laïco-administrative.
Jeudi saint. Je pense à elle, encore et encore. Je sais qu’en me retournant, pour le geste de paix, à l’office de la sainte Cène, je ne verrai pas son sourire aujourd’hui. Et plus jamais. Et je pleure sans pouvoir m’arrêter. Avoir la foi chrétienne chevillée au cœur ne dispense pas de haïr la mort et de souffrir de ce qu’elle nous arrache. Jeudi saint, je pleure, et mon Bien-Aimé va être livré à ses bourreaux par un baiser de traîtrise. Celui que je chéris va passer la nuit à pleurer seul des larmes de sang dans le jardin de Gethsémani.
Vendredi saint. Férié en Alsace, béni sois-tu Seigneur pour le concordat ! Pendant que beaucoup ici s’affairent à des recettes compliquées à base de poisson ou se retrouvent au restaurant pour manger des carpes frites – c’est la compréhension éhontée qui a cours autour de moi du jeûne du Vendredi saint… – je m’affaire le matin aux tâches ménagères qui me pèsent le plus. 14h, c’est le chemin de croix, dans un sentier forestier. Un miracle météorologique retarde les nuages d’une heure. Chemin de croix médité, qui devient station après station une réelle épreuve pour moi : je ne suis pas en accord avec la méditation proposée cette année, elle me heurte sur bien des points, je ravale mon début de colère mais je prie comme tout le monde.
Office de la Passion. Cette année, nous n’avons pas de prêtre. L’office se déroule au mieux. Mais nous sommes cruellement conscients de notre absence de curé de paroisse, malade depuis presque un an. Bien des prêtres sont venus le remplacer, dimanche après dimanche. Mais en ce Vendredi saint, le manque est flagrant. C’est un paroissien qui lit les mots de Jésus dans l’évangile de Jean, en son simulacre de procès et sur la croix. Etrange Vendredi saint, au goût d’absence ; toute une vallée de chrétiens qui sont comme des brebis sans berger.
Samedi saint. Du ménage, encore, à fond. Le nettoyage de Pâques est sans doute l’héritage de la traque au ‘hametz de nos frères juifs. Cela ne me déplaît pas de me sentir en communion avec le peuple juif à cette occasion, d’autant plus que Pâques et Pessah coïncident cette année. Je m’affaire comme une maîtresse de maison juive surmenée.
Vigile pascale. C’est enfin le terme du long carême. La plus belle célébration religieuse de l’année, avec la lumière du feu dans les ténèbres, le ruissellement de l’eau, les lectures qui couvrent tout le déroulé de la Bible. Les visages illuminés et lumineux. Le réconfort après l’épreuve. L’Alléluia qui résonne enfin à nouveau, après six semaines d’omission. Une clameur qui monte dans l’église : “Christ est ressuscité ! ”
Je le crois, je le vis, je le ressens depuis très longtemps. Mais cette année, vraiment, j’en avais besoin. Pour savoir notre amie accueillie au Royaume, avec les autres saints. Pour reprendre la route, régénérée, pleine d’espérance, confiante en l’avenir.
Christ est ressuscité !
Et personne, cette année, n’a songé à m’offrir du chocolat en ce dimanche de Pâques.
Alléluia !
2 commentaires
Merci chère Véronique de ce récit si délicat de ta douloureuse semaine sainte. Je n’avais pas pris le temps de lire ton blog depuis mon départ d’Alsace, la veille de ce jour des Rameaux où tu as appris la mort de ton amie. J’ai dévoré ce matin tous tes derniers articles, toujours impressionnée par ton courage.
Samedi saint j’ai moi aussi fait le ménage “chez moi” : c’était matinée de confessions à l’église. Il a fallu que je me donne des coups de pieds aux fesses et sûrement que le Seigneur me prenne par la main pour parcourir les quelques 200 mètres jusqu’à l’église. Une dizaine de personnes attendaient leur tour. C’est bien long quand on est fébrile. Une dame s’est assise devant et a rempli une page d’un petit carnet avec une liste scrupuleuse, puis, ayant sans doute considéré que le pardon ne pouvait plus attendre, elle a oublié qu’elle n’était pas toute seule… Une autre est venue me déloger alors que j’étais déjà près du curé pour me dire qu’elle était “là avant moi”. Le découragement a failli prendre le dessus sur la résolution. Heureusement, une petite fille de 8 ou 9 ans attendait aussi, serrant d’une main celle de sa mère et de l’autre son cahier de catéchisme où était collé un examen de conscience. Elle “révisait”, inquiète. Elle ne savait pas combien sa présence me donnait du courage alors je le lui ai dit. Quand elle est revenue de sa confession, elle avait un sourire rayonnant accroché sur le visage. Une vraie invitation au pardon !
Nul doute que Marie-Thérèse ait été accueillie Là-haut avec des bouquets de fleurs.
Christ est ressuscité, Alléluia !
Merci Laure pour tes mots qui font du bien.
Oui, quand on va au sacrement de la réconciliation, c’est souvent avec l’envie de reculer et les circonstances s’en mêlent ! C’est d’autant plus fort quand on a lutté jusqu’au bout contre la tentation de fuir !
Cette petite fille a du mérite et de la chance que sa maman l’ait accompagnée jusque là. Je dis souvent que c’est bien dommage que le Premier pardon devienne l’unique pardon, comme la Première communion devient l’unique Eucharistie dans la vie d’un enfant, parfois jusqu’à l’enterrement d’un proche…
Soyons confiantes en la grâce, et oui, à présent je suis sûre que mon amie Marie-Thérèse intercède déjà pour tous ceux qu’elle a aimés… La foi me donne la paix.
Amitiés,