J’y repense aujourd’hui, je ne sais pas exactement pourquoi. C’était il y a bien une quinzaine d’années. J’étais encore mariée, et mon mari vénérait une chanteuse francophone à la voix envoûtante, et belle physiquement.
C’est ainsi qu’un soir, nous nous sommes retrouvés à l’Olympia pour un concert qu’elle y donnait. Je n’avais rien demandé. Le billet était une surprise. La soirée ne fut pas pour autant des plus agréables.
Il avait tellement désiré assister à ce concert qu’il avait réservé deux places restantes, bien que l’une soit un strapontin. Soit. Il eut l’élégance de me laisser le fauteuil et de s’installer sur le strapontin. Mais pas pour longtemps. La flamboyante chanteuse l’attirait irrémédiablement. Il me planta donc là pendant une grande partie du concert pour mieux la contempler du bord de la scène et s’enivrer de sa voix.
Quand il revint vers moi, il s’excusa maladroitement :
“Je suis désolé, mais tu sais, pour moi, c’est comme si j’avais vu la Madone.”
La Madone.
C’était le même homme qui me disait cela, et m’avait lancé un autre jour :
“J’en ai marre de te voir avec ta Bible.”
Cette Madone qu’il écoutait à longueur de trajets de voiture ne m’a pas vraiment porté chance. Il ne se cachait pas de cette passion, si bien que son frère et sa belle-sœur lui offrirent un jour un immense tableau qui représentait la chanteuse de ses rêves. J’en fus vexée, et déclarai que je n’avais aucune envie d’accrocher cette peinture à un mur de notre maison.
C’est peu de temps après qu’il se prit un appartement, seul, et qu’il y mit comme unique déco le tableau de sa chère Madone aux cheveux roux comme le feu.
J’avoue que j’ai encore du mal aujourd’hui à écouter cette chanteuse. Je me sens à chaque fois comme sur un strapontin. Et je comprends un peu ce que le Christ voulait dire quand il prononça cette parole radicale :
Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. (Matthieu 5, 28)