Elle a été écrite au clavier, ils s’en excusent un peu, c’est que leur écriture devient malhabile avec l’âge. Mais ils sont en vie tous les deux, c’est ma chance extraordinaire : le couple d’instituteurs qui m’a tout appris à l’école, de mes sept à mes onze ans, demeure encore dans mon village natal, et je peux avoir des nouvelles d’eux deux. J’avais envie de leur en donner l’autre jour, à l’occasion de ma nomination comme directrice de ma propre petite école rurale, même si c’est à trois cents kilomètres de chez eux et des lieux de mon enfance. Et bien sûr, la nouvelle les a touchés et ils y répondent, émus, avec une grande gentillesse. C’est “ma maîtresse” qui a écrit, je reconnais son humble discrétion, même si elle parle en employant le “nous”. Il n’y a pas de hasard dans la vie. Sur une photo de classe, elle pose ses mains sur mes épaules. Je n’ai jamais aimé la robe et le collant de laine rouge que je portais sur cette photo, mais ses mains sur mes épaules, oh oui ! Comme un fluide de transmission, déjà, de l’amour de l’école et du goût d’enseigner.
J’ai été une élève heureuse dans leurs classes, pendant quatre ans. Chez moi, à la maison, il y avait très peu de livres, et un savoir paysan davantage que culturel. Alors là, sur les bancs de l’école, j’avais vraiment tout à apprendre. Elle était douce et patiente, lui un peu plus vif, avec un grand charisme néanmoins. On était les grands dans sa classe. Je suais un peu sur les problèmes de périmètres et d’aires, mais une petite armoire murale contenant toutes les conjugaisons me fascinait. J’aimais le jour de la semaine où il ouvrait une nouvelle page du classeur de verbes. Du présent au plus-que-parfait, je n’ai jamais eu d’aversion pour la conjugaison. Ni pour le Bled, dans une édition qui parlait encore de travaux des champs pour apprendre à accorder le participe passé correctement.
Tous les deux, je les ai accablés de “textes libres”. Je les écrivais le soir chez moi, et les réécrivais à l’école, quand le Bled et les problèmes étaient finis, et qu’on me les avais rendus saturés de rouge. Bienheureux ces deux instituteurs qui ont toujours encouragé mon goût d’écrire ! Ils s’en défendent, mais je leur dois tant !
J’ai ajouté en bas de ma petite carte une confidence : ce blog. Sachant que là, je m’aventurais sur un terrain de possible discorde. Lui, “libre penseur”. Elle, je ne sais pas. Ils sont venus sur la pointe des pieds, et puis sont repartis, respectant ma liberté de croire et de témoigner, mais n’ayant plus l’obligation de corriger mes fautes d’orthographe, ils sont repartis sans lire… Telle est leur liberté, que je respecte grandement aussi. Je mesure la gratuité de ce qu’ils m’ont donné : m’apprendre à rédiger. Pour être libre, aujourd’hui, d’écrire ce qui me tient le plus à cœur, quel qu’en soit le contenu, celui qu’ils ne m’ont certes pas enseigné, mais que sans eux, je n’aurais jamais su mettre en forme.
Merci, ma maîtresse et mon maître !
3 commentaires
Erreur de frappe sur hommage, au singulier évidemment… snif… 🙁
Tes billets me parlent décidément beaucoup ces derniers temps. Très bel hommages à deux êtres Majuscules qui ont contribué à faire de toi ce que tu es, professionnellement évidemment, mais pas que, sans aucun doute. Bises.
Merci beaucoup Franck, deux êtres Majuscules, belle formule de ta part ! 🙂