Extrait d’un article de Laurent Dupuis au journal La Croix du 23 mai 2014 :
Vingt siècles. C’est la durée du chapitre qu’a refermé Paul VI en se rendant en Terre sainte, du 4 au 6 janvier 1964. Avant lui, jamais pape ne s’était rendu là où le Christ a vécu. C’était également la première fois depuis bien longtemps que le pape quittait Rome – à l’exception des exils forcés de Pie VI et Pie VII au XVIIIe siècle. Et avec la rencontre entre Paul VI et le patriarche de Constantinople, Athénagoras, ce voyage devait également marquer la reprise du dialogue entre les Églises catholique et orthodoxe, après plus de mille ans de schisme. Dans nos archives : «Le message de Bethléem », par le Père Lucien Guissard, dans la Croix du 7 janvier 1964 : C’est Paul VI lui-même qui a décidé de la nature de son séjour en Terre sainte. Mais l’idée initiale lui avait été suggérée par un prêtre français, comme l’explique à La Croix Yves Chiron, historien et auteur d’une biographie de Paul VI (1) : « Un ancien prêtre-ouvrier français, le père Paul Gauthier, installé à Nazareth où il avait fondé une communauté à Nazareth, les “Compagnons et Compagnes de Jésus charpentier”, avait écrit à Paul VI dès les premiers temps du pontificat pour l’inviter à venir en Terre sainte. [Fin de citation]
Je suis émue quand je lis ces lignes, et d’autres qui concernent ce pèlerinage inédit et historique d’un Pape en Terre sainte, car c’est quelques jours après que je suis venue au monde. Je considère comme une chance que mes humbles parents m’aient donné le jour en plein Concile Vatican II. J’allais bénéficier dans mon enfance d’une catéchèse ouverte en priorité sur les commandements de l’Evangile, de la messe dans la langue que je pouvais comprendre, d’un élan d’espérance des mouvements d’Eglise ouvriers que ma condition modeste m’amena plus tard à fréquenter. Et c’est dans ce contexte que je puise indubitablement ma très grande sensibilité aux efforts de rapprochement œcuménique des Eglises.
J’ai un peu une place à part dans ma fratrie : je suis la dernière de quatre filles, et c’est mon oncle alors tout récemment ordonné prêtre qui m’a baptisée quand j’avais deux semaines, le 26 janvier 1964. Il en a toujours conçu une certaine fierté, et moi de la reconnaissance et un lien fort avec lui, malgré toutes les oppositions que nous avons pu développer l’un par rapport à l’autre dans nos manières respectives d’être et de vivre notre foi. Ce fut un défit permanent. Lui, formé au séminaire pré-conciliaire dès son plus jeune âge, excellent en latin, ayant porté la soutane, a toujours, je pense, gardé une certaine nostalgie du piédestal sur lequel il était mis dans la famille et au-delà, et d’une manière de pratiquer la foi un peu rigide sur les règles catéchétiques et approximative sur la mise en œuvre quotidienne du commandement “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.”
Quant à moi, animée par une foi très vive, je l’ai toujours eue un peu rebelle et exigeante dans mes relations humaines et mes engagements sociaux. Je ne me veux qu’un seul modèle pour la foi, l’espérance et la charité : le Christ Jésus lui-même. Bien avant l’Eglise…
Ce qui aurait pu nous éloigner inexorablement l’un de l’autre n’a jamais brisé le lien entre nous, ce lien fondé sur le baptême que mon oncle m’avait donné. Et c’est encore aujourd’hui, au soir de sa vieillesse solitaire et douloureuse, que nous sommes proches l’un de l’autre dans la confidence qu’il me fait de sa difficulté de vivre. Oh, j’aimerais tant pouvoir faire pour lui un geste consolant, comme cette eau de vie qu’il a fait couler sur mon front et qui m’a rendue fille du Très-Haut à jamais !
Je lisais, dans un autre article sur le pèlerinage du Pape Paul VI à Jérusalem, que ce dernier avait eu tous les maux du monde à effectuer le Chemin de Croix de la Via Dolorosa, et que ce n’est qu’à la sixième station que des religieuses avaient pu le réconforter dans la cohue qui l’entourait.
Que le Seigneur fasse que je sois à mon tour Véronique consolante pour le prêtre aujourd’hui vieillissant qui m’a donné dans le même contexte ecclésial ce baptême si précieux dans ma vie spirituelle, dans toute ma vie !