« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »
Matthieu 9, 37-38
Textes liturgiques©AELF
Ces versets ont toujours été la base, en Eglise, de la prière pour les vocations sacerdotales. Et aujourd’hui encore, tandis que l’Eglise catholique se porte si mal et que les vocations de prêtres se raréfient, certains s’épuisent encore en chapelets pour leurs vocations…
J’aimerais aujourd’hui placer ces versets d’Evangile dans une lumière différente. La moisson, ce n’est pas seulement générer des catholiques “munis des sacrements de l’Eglise”. Etre ouvrier pour la moisson, ce n’est pas forcément porter soutane ou col romain, baptiser, donner les sacrements de réconciliation et d’eucharistie, célébrer des sacrements de mariage ou enterrer religieusement. La moisson ne se limite pas à espérer le Ciel pour les baptisés qui nous quittent. Malheureusement, je crois bien qu’en Eglise catholique, le sens des paroles de Jésus a ainsi glissé vers quelque chose de très factuel : être prêtre “au service de l’Eglise”, donner sa vie davantage pour perpétuer les sacrements au sein de cette Eglise que pour réellement annoncer l’avènement du Royaume de Dieu.
Je me sens légitime à oser ces mots parce que je suis héritière de deux sacerdoces : celui de mon oncle, qui m’a baptisée, et de mon grand-oncle qui a toujours veillé sur la vocation de son neveu. Par malchance pour eux, je suis née fille, et donc inintéressante à leurs yeux pour la perpétuation de cette lignée sacerdotale. La question de ma foi brûlante ne les interrogeait pas outre mesure. J’étais fille, donc inapte au service d’ouvrière de la moisson. Disqualifiée d’office.
Oh, que l’on ne me comprenne pas à rebours de mes propres convictions ! Je ne suis pas, non, une militante du sacerdoce ouvert aux femmes. Pas du tout. Ce que je comprends de mon étrange destinée, c’est que le temps des ouvriers au service de l’Eglise est sans doute révolu. Et au risque de choquer, je dirais même que j’ai souvent des doutes sur l’authenticité des vocations des jeunes prêtres en soutane d’aujourd’hui. Est-ce réellement le Christ qui les a appelés à se crisper sur une Eglise étriquée et cultivant la nostalgie du cléricalisme ? Est-ce le Christ qui demande, du fond de son cœur, que l’on vienne feindre de l’adorer dans des ostensoirs dorés et en des processions d’un autre âge ?
On aura deviné que je propose à la fois la question et la réponse. Non, le Christ du XXIe siècle n’appelle plus à porter soutane et à cultiver la nostalgie d’une Eglise d’antan. Certes, il a fallu qu’elle soit, et sans une longue lignée baptisée catholique, je ne serais pas qui je suis aujourd’hui. Mais la moisson, c’est aussi l’urgence de l’annonce du Royaume qui n’est pas de ce monde et qui advient avec le retour du Christ en Gloire. La mission du chrétien dans le monde, c’est d’annoncer ce retour imminent et conforme à toutes les Ecritures. La moisson, ce sont les rachetés qui pourront quitter cette terre vouée à la perdition à la suite du Christ glorieux, tout comme les Hébreux sortirent de l’esclavage d’Egypte à la suite de Moïse.
Attelons-nous donc à travailler à cette moisson qui transcende les frontières des églises chrétiennes et même de toutes les traditions religieuses. Il n’y a pas seulement des “parcelles de vérité” dans chaque tradition. Il y a surtout une commune attente d’un monde meilleur, une attente légitime du Messie pour les chrétiens avisés et les juifs qui n’ont pas perdu leur espérance. Ce Messie qui nous ouvrira vraiment les portes du Royaume de Dieu.
Alors oui, je me sens héritière du sacerdoce de mes oncles. Non pas pour porter chasuble et étole, mais avant toute chose pour crier avec les hommes et femmes de bonne volonté de notre temps :
“Amen, viens, Seigneur Jésus !”
Photo Laure Mestre http://www.decoatouslesetages.fr/