Paroles de la bien-aimée.
Sur mon lit, la nuit, j’ai cherché
celui que mon âme désire ;
je l’ai cherché ;
je ne l’ai pas trouvé.
Oui, je me lèverai, je tournerai dans la ville,
par les rues et les places :
je chercherai
celui que mon âme désire ;
je l’ai cherché ;
je ne l’ai pas trouvé.
Ils m’ont trouvée, les gardes,
eux qui tournent dans la ville :
« Celui que mon âme désire,
l’auriez-vous vu ? »
À peine les avais-je dépassés,
j’ai trouvé celui que mon âme désire :
je l’ai saisi
et ne le lâcherai pas.
Cantique des cantiques 3, 1-4a
Textes liturgiques©AELF
Ce n’est pas si souvent que l’on peut lire et méditer un extrait du Cantique des cantiques en Eglise catholique. Vieux reste de pudibonderie certainement, et puis cette fâcheuse tendance à omettre de méditer les textes bibliques qui évoquent des figures féminines autres que celle de la mère de Jésus. Toujours, nos clercs nous ont entravé la voie vers des textes qui auraient pu inspirer aux femmes des élans mystiques amoureux vers leur seul Seigneur. Se seraient-elles enflammées d’amour pour le Christ Jésus, le véritable Salomon, on leur aurait répété encore et encore que la fiancée du Cantique symbolisait en fait l’Eglise et non une femme quelle qu’elle soit.
En ce XXIe siècle qui a mis sous nos yeux de manière crue et impitoyable la débauche active ou la complicité coupable de l’institution ecclésiale catholique envers le crime, tout parallèle entre la fiancée du Cantique et celle-ci est une injure à ce texte si beau et pas seulement élevé spirituellement. On y lit des mots d’amour magnifiques entre une femme et un homme éperdument épris l’un de l’autre, qui se désirent, se recherchent, se perdent, se retrouvent… Alors certes, c’est là une allégorie de toute vie spirituelle et mystique intense, mais c’est aussi et surtout l’histoire d’un amour incommensurable entre deux êtres de désir.
Est-ce une bonne ou une mauvaise idée de proposer la lecture de l’extrait ci-dessus le jour où nous fêtons sainte Marie-Madeleine ?
Il y a certes des parallèles tout-à-fait saisissants entre cet extrait et l’évangile du jour (Jean 20, 1.11-18). Marie de Magdala cherche le corps de Jésus au tombeau et ne le retrouve plus. Il se manifeste à elle ressuscité et elle ne le reconnaît pas – comprenons-la, l’avant-veille, elle l’a vu mourir supplicié à l’extrême, couvert de plaies sanglantes sur la croix d’infamie… Il lui parle, vivant et rayonnant, et enfin elle admet l’incroyable de sa vie par-delà la mort : “Rabounni !” Elle veut le retenir désormais, telle la fiancée du Cantique, si heureuse de l’avoir retrouvé vivant, mais il a ces mots fondateurs :
« Ne me retiens pas,
car je ne suis pas encore monté vers le Père.
Va trouver mes frères pour leur dire
que je monte vers mon Père et votre Père,
vers mon Dieu et votre Dieu. »
Jean 20, 17
Et voilà Marie de Magdala chargée, comme la toute première apôtre, d’annoncer la résurrection de Jésus aux disciples, qui auront d’ailleurs bien du mal à la croire sur parole, comme tout homme religieux vis-à-vis de la parole d’une femme – méfiance, voire jalousie. Cela est vieux comme le monde, hélas. Marie est envoyée vers cette mission-là, et non pas retenue par Jésus pour la personne, la femme qu’elle est face à lui, et sans doute en outre une femme amoureuse de lui. “Noli me tangere”, les mots sont célèbres et ont donné un foisonnement de tableaux plus ou moins heureux qui montrent une Madeleine repoussée délicatement dans son mouvement de saisir celui que son âme désire et de ne plus le lâcher. Le Christ y paraît toujours au-dessus du désir simplement humain de “saisir”, de “posséder” par amour.
Et si nous poussions plus loin la scène en tentant de comprendre différemment ce “noli me tangere” ?
Jésus se montre ressuscité, mais ce n’est pas encore l’accomplissement des temps messianiques. Il se doit de “monter vers son Père” pour ouvrir ce très long temps de l’intercession pour nous dans lequel nous sommes encore présentement. Ce moment de sa résurrection révélée à Marie de Magdala n’est encore ni la fin des temps, ni l’accomplissement total des Ecritures. Il faut que Jésus “s’en aille”, il faut que cette femme qui l’aime le laisse partir, il faut que le peuple accepte de ne plus le voir, il faut que l’Eglise naisse de ces événements fondateurs, proclame l’Evangile et nourrisse les âmes converties au Christ de la Parole et des sacrements de mémoire. Et tous, nous sommes dans ces temps transitoires, difficiles, dans ces temps de l’apparente absence de Dieu au cœur de l’humanité.
Mais n’abdiquons pas pour autant notre espérance !
Tout comme Marie de Magdala n’était finalement pas la Bien-Aimée choisie par Dieu pour l’accomplissement des Ecritures, l’aboutissement réel du Cantique des cantiques et la révélation de “la Femme, l’Epouse de l’Agneau” (Apocalypse 21, 9) puisqu’elle a dû “ne pas retenir” le Seigneur, l’âme chrétienne se doit d’attendre encore le Christ en son retour glorieux, dans un désir à la fois patient et impatient. Alors seulement Il laissera la véritable élue le saisir et ne plus le lâcher. Alors sera révélée sa Gloire, et celle de la Bien-Aimée du Cantique des cantiques choisie de toute éternité. Alors seulement, le rayonnant couple messianique pourra ouvrir le chemin vers la Terre nouvelle sous les Cieux nouveaux, là où Dieu “essuiera toute larme de nos yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en sera allé.” Apocalypse 21, 4
Amen, viens, Seigneur Jésus !
Image : Noli me tangere Benozzo Gozzoli XVe, couvent saint Marc, Florence.