Frères et Sœurs,
Malgré le temps pluvieux, je ne pense pas que nous ayons pris des barques pour nous retrouver dans cette chapelle. Mais il est clair, que pour nous retrouver ici – autour de l’autel – chacun et chacune d’entre nous s’est déplacé. Nous avons quitté un lieu pour venir à la recherche de Jésus.
Comme les disciples, nous venons à la recherche de Jésus. Et nous pouvons peut-être ce matin, nous poser une question : qu’est-ce qui nous a mis en route ? Peut être tout simplement, l’habitude, la tradition. Pourquoi ne pas venir plutôt que de ne rien faire ! Venir pour rencontrer des amis à la sortie de la messe ! Peut-être nos raisons sont-elles plus personnelles, plus profondes. Essayons de répondre spontanément à cette question : pourquoi suis-je ici ce matin ? Qu’est-ce que je suis venu chercher ?
Dans l’évangile de ce jour, Jésus conteste ceux qui viennent à lui : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. » Jésus vient peut-être aussi contester les raisons qui ont été les nôtres de venir dans cette chapelle ce matin. Et il nous faut laisser la parole contestatrice de Jésus venir purifier nos désirs, nos intentions.
« Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour celle qui se garde. » Dans un autre évangile, Jésus dit aux disciples “que sa nourriture, c’est de faire la volonté de son Père.” (Cf. Jn 4, 34)
Les gens se sont laissé interroger par les paroles de Jésus. Ils lui disent alors : « que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Non pas pour travailler à des œuvres pour Dieu, mais pour travailler aux œuvres de Dieu.
Dans sa réponse Jésus va être encore plus radical, alors qu’ils parlent de travailler aux œuvres de Dieu – au pluriel – Jésus leur répond : « l’œuvre de Dieu – au singulier – c’est que vous croyez en celui qu’il a envoyé. »
Jésus renvoie ici au domaine de la foi ; il s’agit de se laisser purifier comme le disait tout à l’heure saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens. Il s’agit de « se laisser guider intérieurement par un esprit renouvelé », de ne pas se laisser emporter comme nous le faisons parfois « par le néant de nos pensées. »
Jésus nous invite à vivre de la vie théologale, de la vie qui est donnée par Dieu, centrée sur Dieu, une vie de foi, d’espérance et d’amour.
« L’œuvre de Dieu c’est que vous croyez en celui qu’il a envoyé. » Dans quelques instants, comme chaque dimanche, nous allons proclamer le Credo, la foi de l’Église, la foi de notre baptême. Est-ce que véritablement nous croyons les mots que nous prononçons ? Je ne dis pas : est-ce que nous les comprenons ? La compréhension des mystères de la foi peut demander bien du temps et elle est toujours à poursuivre, à approfondir. Mais est-ce que nous croyons à ce que nous disons ? Est-ce que nous adhérons vraiment à cette foi qui nous est donnée, qui nous est révélée par la venue dans la chair du fils de l’Homme ?
« L’œuvre de Dieu c’est que vous croyez. » La foule, à ce moment là, demande à nouveau un signe, elle veut une autre œuvre pour croire. Elle a déjà eu le signe de la multiplication des pains. Elle aura des signes de guérison, mais chaque fois, il faudra un autre signe, un nouveau signe.
Jésus, prenant appui sur l’Écriture, invite à regarder plus haut, à regarder autrement. Il explique : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. » Cette manne, pourtant elle a tout un enseignement à nous dire. Nous l’avons entendu dans la première lecture. Ils vont recevoir chaque jour le pain ; ils le reçoivent pour la ration quotidienne. « Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve. » Est-ce que le peuple va accepter de se reconnaître dépendant de son Dieu ? Non pas d’être dépendant, mais de le reconnaître et de l’accepter… Acceptons-nous de recevoir la vie d’un Autre ? Acceptons de ne pas être pour nous-mêmes et pour les autres la source de vie ?
Recevoir la ration quotidienne : c’est recevoir au fur et à mesure, au quotidien, l’existence que Dieu nous donne ; recevoir de sa main ce qu’il nous faut pour exister. Nous ne pouvons pas faire de réserve de vie, de réserve de grâce, comme les Hébreux ne pouvaient pas faire des réserves de manne. Quand ils faisaient de la réserve, les bêtes s’y mettaient et la manne était corrompue, impropre à la consommation. La grâce, nous devons la demander chaque jour, l’accueillir au quotidien. Nous avons à nous reconnaître comme dépendant de ce Dieu plein d’amour qui veut, non seulement que nous nous reconnaissions – dans la vérité de notre être dirait sainte Thérèse d’Avila – comme ses créatures, mais encore davantage que dans son Fils unique, nous soyons ses enfants bien-aimés.
« C’est mon Père qui vous donne le vrai pain du Ciel. Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »
« Ils lui dirent alors : Seigneur, donne-nous de ce pain là toujours. »
Jésus, par son discours, a permis à ceux qui le recherchaient, peut-être maladroitement, de mettre à jour le désir profond qui était le leur. Si nous laissons Jésus nous contester, si nous le laissons nous interroger véritablement, alors, il mettra au jour le désir le plus puisant, le plus secret qui est au cœur de l’homme. Saint Augustin affirmait dans une de ses très belles formules : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. »
Jésus affirme à la fin de cet évangile, qu’il est « le pain de la vie », Celui qui donne véritablement vie au monde. Accepterons-nous véritablement, frères et sœurs, de recevoir de lui la vie ? Dans le quotidien de notre existence, dans la banalité des événements de nos vies ? Il nous faut recevoir ce pain chaque jour.
C’est bien ce que nous demandons dans le Notre Père, que nous prions à la fin de la prière eucharistique. Cette prière du Notre Père est comme un résumé de la prière eucharistique, où s’accomplit la plus grande œuvre de Dieu, où s’accomplit le plus grand signe : par les mains d’hommes pécheurs, le Christ Jésus, le Fils du Père, se rend présent sous la forme du pain et du vin pour se donner à d’autres pécheurs et les nourrir de sa vie.
Notre Mère Sainte Thérèse commente magnifiquement le Notre Père, dans son livre : Le Chemin de Perfection. Avec finesse, elle note à propos du pain, qu’il y a comme une redondance : “Donne-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour.” Insistance de cet “aujourd’hui” et de ce“ chaque jour”. Et cette demande du pain, elle est comme la perle centrale du Notre Père.
Nous demandons que le Nom soit sanctifié, qui aurait comme parallèle inverse, Délivre-nous du Mal ; nous demandons que le Règne vienne, qui aurait comme parallèle inverse, Ne nous soumets pas à la tentation ; nous demandons que la Volonté soit faite sur la terre comme au ciel, qui aurait comme parallèle, le pardon des offenses qui se fait sur la terre (entre nous) et au ciel (pardon de Dieu).
Au centre de cet écrin : Donne-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour.
Accueillons, frères et sœurs, cette demande, comme l’expression la plus forte du désir de notre cœur. Demandons au Seigneur qu’il puisse véritablement nous nourrir au quotidien par sa Parole, par son Corps livré, par son Sang versé.
« Moi je suis le pain de la vie »
Que cette eucharistie, qui nous entraîne dans le Corps du Christ, nous fasse devenir davantage des croyants cherchant à faire une unique chose : l’œuvre de Dieu, qui veut nous voir croire en son Fils Bien-Aimé, incarné, crucifié et ressuscité.
Amen.
Frère Didier-Marie Golay, ocd
Source : http://www.carmel.asso.fr/Homelie-d-Avon-18e-Dimanche-TO.html