J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous.
En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu.
Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.
Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer: ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ? Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Romains 8, 18-25
Textes liturgiques©AELF
Est-ce parce qu’ils ne sont jamais passés et ne passeront jamais par les douleurs de l’enfantement que les hommes d’Eglise semblent parfois prendre si mal en considération ces versets de l’Epître aux Romains ? Peut-être faut-il être femme, et mère, pour les comprendre pleinement.
L’enfantement ! Passage douloureux s’il en est ! Toute mère se souvient de l’angoisse diffuse qui l’a habitée tandis que grandissait en elle son enfant : “Il faudra bien qu’un jour il sorte de moi ! ” Entre la réticence à faire entrer dans un monde violent son tout-petit avec lequel elle est en symbiose totale pendant neuf mois et l’impatience de découvrir son visage et d’entendre son premier cri, la femme enceinte passe par des sentiments ambivalents : plénitude, lassitude due à la fatigue et aux contraintes de la grossesse, émerveillement devant les soubresauts de son enfant dans son sein, crainte de ce passage redouté et imprévisible de l’accouchement… Une future maman passe par toute une panoplie de ressentis possibles, tout autant que sont variées les tournures possibles que prendra cet accouchement-là, toujours unique et inédit.
Le parallèle que dresse ici Paul avec la survenue du Royaume de Dieu me semble donc particulièrement judicieux. Car nous l’oublions bien trop en cette vie : notre osmose – ou non – avec la création présente n’est que provisoire. Nous sommes partie prenante de cette création, nous sommes en son sein, au point que beaucoup ont ce sentiment faussé que c’est là leur patrie permanente, et l’Eglise n’échappe pas à cette erreur de jugement quand elle surinvestit ses bâtiments et son zèle pastoral pour se survivre à elle-même, ce qui n’est pas beaucoup plus louable que d’accumuler des possessions terrestres pour se croire à l’abri avec des greniers personnels bien remplis. Nous devrions bien plutôt, en tant que chrétiens, aspirer à notre véritable patrie et la réclamer avec cœur et en gémissant à notre Père, le supplier que son Royaume de justice advienne enfin ! Car qui peut, en tant que chrétien sincère, se satisfaire de ce monde où règnent le pouvoir de l’argent, l’injustice sociale criante entre les deux hémisphères et au cœur même de nos sociétés d’opulence ? Qui peut rester indifférent au fait qu’il y ait tant et tant d’enfants et de femmes victimes d’asservissement, l’illettrisme et de violences de par le monde ?
Il est beau et consolant de voir quelqu’un s’investir pour les droits de l’homme et l’éradication de la faim sur cette planète qui produit pourtant bien assez pour nourrir tout le monde, c’est même, à tous, notre devoir d’être humain le plus absolu. Mais cela n’est pas suffisant lorsqu’on a l’Evangile chevillé au corps. Encore faut-il croire en cette Parole jusqu’au bout, et espérer contre toute espérance que cette terre d’injustice prenne fin, non pas en se transformant en règne de paix et d’équité, cela ne sera jamais possible étant donné que le péché est intriqué dans la chair de l’homme “glaiseux”. Non, il faut avant tout, quand on est un authentique chrétien, s’arracher à l’amour du monde pour espérer le seul règne de justice possible : l’avènement de la terre nouvelle sous les cieux nouveaux qu’inaugurera le Christ en son retour glorieux. Voilà ce que nous devons ambitionner quand nous prions “Que ton règne vienne !”. Ne pas le chuchoter du bout des lèvres seulement en espérant conserver néanmoins chaque pierre de ses possessions matérielles, non, nous nous devons de réclamer au Père l’avènement de son véritable Royaume en étant prêts à tout quitter pour y parvenir, pour que justice soit faite, ailleurs que sur cette création au pouvoir du Mauvais, à tous les oubliés de l’opulence !
Alors oui, l’enfantement aboutira : tous les rachetés de l’espérance et de la justice divine resplendiront dans leurs corps de gloire, et pour l’éternité. Et chacun comprendra que cette première création n’était que la matrice de notre félicité éternelle. Sommes-nous donc des fœtus timorés qui ne veulent pas quitter le sein de leur mère, en nous cramponnant désespérément à cette terre qui se meurt de toute façon ?
Image : Naissance de saint Roch, retable de St. Lorenz, Nuremberg, XVe
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