En ces jours-là, Anne se leva, après qu’ils eurent mangé et bu. Le prêtre Éli était assis sur son siège, à l’entrée du sanctuaire du Seigneur.
Anne, pleine d’amertume, se mit à prier le Seigneur et pleura abondamment.
Elle fit un vœu en disant : « Seigneur de l’univers ! Si tu veux bien regarder l’humiliation de ta servante, te souvenir de moi, ne pas m’oublier, et me donner un fils, je le donnerai au Seigneur pour toute sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête. »
Tandis qu’elle prolongeait sa prière devant le Seigneur, Éli observait sa bouche.
Anne parlait dans son cœur : seules ses lèvres remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix. Éli pensa qu’elle était ivre
et lui dit : « Combien de temps vas-tu rester ivre ? Cuve donc ton vin ! »
Anne répondit : « Non, mon seigneur, je ne suis qu’une femme affligée, je n’ai bu ni vin ni boisson forte ; j’épanche mon âme devant le Seigneur.
Ne prends pas ta servante pour une vaurienne : c’est l’excès de mon chagrin et de mon dépit qui m’a fait prier aussi longtemps. »
Éli lui répondit : « Va en paix, et que le Dieu d’Israël t’accorde ce que tu lui as demandé. »
Anne dit alors : « Que ta servante trouve grâce devant toi ! » Elle s’en alla, elle se mit à manger, et son visage n’était plus le même.
Le lendemain, Elcana et les siens se levèrent de bon matin. Après s’être prosternés devant le Seigneur, ils s’en retournèrent chez eux, à Rama. Elcana s’unit à Anne sa femme, et le Seigneur se souvint d’elle.
Anne conçut et, le temps venu, elle enfanta un fils ; elle lui donna le nom de Samuel (c’est-à-dire : Dieu exauce) car, disait-elle : « Je l’ai demandé au Seigneur. »
1 Samuel 1, 9-20
Textes liturgiques®AELF
De ce très beau récit d’Anne, épouse d’Elcana, qui obtient un fils après des années de souffrance due à sa stérilité et une ardente prière pour en sortir, je ne retiendrai aujourd’hui que la réaction du prêtre Eli la voyant prier intérieurement avec abondance de larmes. Eli manque complètement sa cible en la prenant pour une ivrogne inopportune, elle qui vient au sanctuaire pour prier le Dieu d’Israël de la plus pure des façons, avec sincérité de cœur et espérance malgré sa détresse. Eli la rabroue, loin de penser de quelle sainte disposition d’esprit cette femme fait preuve, elle qui est prête à donner son fils tant espéré au Seigneur dès qu’il sera sevré – ce que, exaucée, elle fera effectivement (1 Samuel 1, 24-28).
Face à cette scène, j’ai envie de dire : vingt-six siècles – voire plus – et rien de nouveau sous le soleil. Nous voici face à un prêtre de l’Ancienne Alliance qui méprise a priori, sans du tout la connaître, une femme entrée au sanctuaire pour prier pourtant de la plus pure des façons. Misogynie et méfiance vis-à-vis d’une femme plus que courante de la part d’un “serviteur de Dieu” qui, lui, se pense légitime dans ce lieu et fondé à juger de la sincérité, ou non, d’une démarche de piété, d’une relation à Dieu.
Vingt-six siècles, et rien de nouveau sous le soleil…
Oh, bien sûr, de nos jours, la misogynie du clergé est connue, dénoncée, au possible évitée par les clercs. Beaucoup ont de l’estime pour leurs fidèles et collaboratrices femmes en paroisse, oui, c’est vrai. Mais allez confier en tant que femme à un clerc quel qu’il soit la teneur de votre vie de prière voire d’un intense vécu mystique, et vous verrez très vite comment vous serez reçue. “Il faut discerner !” va-t-il certainement vous objecter, et puis il vous renverra poliment, neuf fois sur dix, sans avoir cherché à discerner quoi que ce soit. Silence poli au mieux, suspicions d’illusion, de délire ou d’accointances avec le Mauvais au plus probable, surtout si vos inspirations spirituelles s’aventurent à contredire la sacro-sainte doctrine dont ils sont les gardiens farouches. Je parle par expérience.
Alors je pense aujourd’hui qu’il serait bon pour nos prêtres de la Nouvelle Alliance de méditer l’attitude d’Eli vis-à-vis d’Anne. On a tôt fait de juger inopportune une femme à la vie de prière peu ordinaire dans un temple ou une église. Au risque d’insulter gratuitement la mère du grand prophète Samuel, au risque, de nos jours, de contrister gravement l’Esprit Saint.
Image : Anne présentant au grand prêtre Eli son fils Samuel Gerbrand van den Eeckhout