Le sabbat qui suivait la première prédication de Paul à Antioche de Pisidie, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur.
Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : ‘J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre.’ »
En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants.
Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.
Mais les Juifs provoquèrent l’agitation parmi les femmes de qualité adorant Dieu, et parmi les notables de la cité ; ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire.
Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium,
tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.
Actes des Apôtres 13,44-52
Textes liturgiques©AELF
Je me souviens, il y a vingt ans de cela, quand je fréquentais une église évangélique – ce que je n’ai fait que six mois – que les prédications étaient souvent basées sur les écrits ou faits de Paul, et ce davantage que sur les évangiles, ce qui m’étonnait toujours de la part d’une église appelée “évangélique”. Je remarquais aussi, lors des prises de paroles des paroissiens pour donner une intention de prière, un certain antisémitisme qui me choquait profondément, moi qui étais à cette période – et qui le suis toujours – fascinée par les origines juives de notre foi. Tout se passait comme si ces chrétiens évangéliques prenaient les écrits de Paul au pied de la lettre et transposaient sans états d’âme ce qu’ils y lisaient et méditaient à notre époque. On priait pour la conversion des Juifs d’aujourd’hui au christianisme, ce que personnellement je ne fais jamais, considérant que le salut de Dieu leur est réservé en tant que peuple élu depuis Abraham et jusqu’à la consommation des siècles. C’est même totalement indécent de prendre encore les paroles de Paul sur les Juifs – telles que celles données dans l’extrait des Actes des Apôtres ci-dessus – comme valables de nos jours dans l’opposition de nos cultes respectifs. Comment des croyants au Dieu unique peuvent-ils faire abstraction de la tragédie de la Shoah et s’enfler d’orgueil, comme si être chrétien était synonyme de supériorité spirituelle sur toute autre expression de la foi ?
Les écrits de Paul sont à replacer dans le contexte de persécution des premiers chrétiens par certains Juifs de cette époque. De là à extrapoler sur une disqualification perpétuelle des héritiers du judaïsme aux yeux mêmes du Père, il y a un pas infranchissable et gravissime. Dire encore cela au XXIe siècle, c’est rien moins que faire l’apologie de l’holocauste. Si cette tragédie majeure de l’histoire humaine n’avait pas eu lieu, les chrétiens auraient encore quelque excuse de prendre les écrits et paroles de Paul pour parole même de Dieu par ignorance de la pertinence de la foi juive – qui était celle de Jésus, ne l’oublions jamais. Si la foi juive a su, dans la plus grande difficulté, se perpétuer jusqu’à nos jours, c’est bien qu’elle est légitime et absolument agréée par l’Eternel.
Je suis d’ailleurs tout à fait sûre que Dieu a une imparable logique dans ses projets, ses promesses et ses alliances.
Et ici, je ne voudrais pas faire le procès des évangéliques, mais inciter aussi les catholiques dont je fais partie à examiner leurs propres contradictions.
Que constatons-nous ces dernières décennies dans l’Eglise catholique romaine, et qui est très sensible en France et dans toute l’Europe, de même qu’aux Etats-Unis ?
Un clivage se fait de plus en plus net entre d’une part une Eglise animée par l’élan de Vatican II, encore pleine de contre-témoignages, je ne dis pas le contraire, et qui peine à s’adapter aux défis contemporains, mais qui a le mérite de tenter de le faire avec des papes de la veine de Jean XXIII ou François, et d’autre part une Eglise nostalgique de supposés fastes d’antan, cléricale, centrée sur la liturgie et de plus en plus éloignée de la quintessence de l’Evangile, moralisatrice, souvent misogyne et à la tendance tristement nombriliste. Et les adeptes de cette Eglise rétrograde ne se rendent même pas compte qu’ils ressemblent de plus en plus aux religieux rigides du temps de Jésus, ceux-là même qui l’ont fait crucifier.
Oh mais bien sûr, ils se réclament du Christ, poussent de hauts cris contre les “progressistes” qui relativisent la place de la Tradition et voient l’Evangile en nécessité de mise en œuvre aussi importante dans la société qu’entre les murs des églises. Les passéistes jurent qu’ils donnent une place centrale au Christ par la révérence à l’Eucharistie, mais apprécient-ils sa Parole percutante et toujours d’actualité avec autant de sincérité que le bel ostensoir qui entoure l’hostie consacrée ? S’abîmer dans des rituels pieux correspond-il vraiment à l’appel du Seigneur sur les baptisés ?
J’en reviens à mon propos de départ. Dieu est logique et fidèle à ses alliances. Et il se pourrait bien que de nos jours, en ces temps qui nous rapprochent du terme de la Révélation, après vingt siècles de christianisme parfois bien peu évangélique dans les faits, je le reconnais, Dieu réhabilite fortement les minorités religieuses qui ont été ou sont encore durement persécutées, au détriment des orgueilleux de la foi et de la tradition, ceux qui se sentent sauvés d’office et érigent leurs rites en vérité immuable et insurpassable. A mon avis, les chrétiens qui pérorent sur la supériorité de leur foi et de leurs cultes ont quelques soucis à se faire dans la perspective de la manifestation glorieuse du Messie, lui qui n’a jamais été prisonnier d’aucune doctrine figée et ne le sera jamais.
En cet après-midi de Shabbat, 9 mai 2020,
Véronique Belen
Image : Le prêche de Saint Paul Joseph-Benoît Suvée XVIIIe, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles