C’est pour mon malheur, ô ma mère, que tu m’as enfanté, homme de querelle et de dispute pour tout le pays. Je ne suis le créancier ni le débiteur de personne, et pourtant tout le monde me maudit !
Quand je rencontrais tes paroles, je les dévorais ; elles faisaient ma joie, les délices de mon cœur, parce que ton nom était invoqué sur moi, Seigneur, Dieu de l’univers.
Jamais je ne me suis assis dans le cercle des moqueurs pour m’y divertir ; sous le poids de ta main, je me suis assis à l’écart, parce que tu m’as rempli d’indignation.
Pourquoi ma souffrance est-elle sans fin, ma blessure, incurable, refusant la guérison ? Serais-tu pour moi un mirage, comme une eau incertaine ?
Voilà pourquoi, ainsi parle le Seigneur :
Si tu reviens, si je te fais revenir, tu reprendras ton service devant moi. Si tu sépares ce qui est précieux de ce qui est méprisable, tu seras comme ma propre bouche. C’est eux qui reviendront vers toi, et non pas toi qui reviendras vers eux. Je fais de toi pour ce peuple un rempart de bronze infranchissable ; ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te sauver et te délivrer – oracle du Seigneur. Je te délivrerai de la main des méchants, je t’affranchirai de la poigne des puissants.
Jérémie 15, 10 et 16-21
Textes liturgiques©AELF
Le Livre de Jérémie m’a toujours été d’une grande consolation. Je ne le lis pas comme un texte archaïque dont les tenants et les aboutissants appartiendraient à un passé révolu. Non, bien au contraire, j’ai retrouvé mille fois en Jérémie mes propres combats et mes amertumes devant les injustices que je subissais par fidélité à la Parole du Seigneur.
Quand je souffrais naguère au creux d’un abîme de désolation, les mots du Seigneur à Jérémie me redonnaient courage et combativité. Et je puis dire aujourd’hui avec sérénité que ma blessure n’est plus incurable, que ma vie a retrouvé sa saveur et que Dieu, plus que jamais, m’est une douce certitude et une consolation permanente. Oui, quand on voue sa vie à extraire de la Parole sa substantifique vérité, on ne souffre pas de la part du Seigneur, mais de la part du monde, certes oui.
Jérémie a été un prophète haï du peuple d’Israël qui ne voulait pas croire que sa déchéance, au moins temporaire, était proche. Lui qui n’avait que vérité à la bouche était persécuté comme un oiseau de mauvais augure, comme le dernier des confidents de Dieu, alors qu’il lui était plus proche que peut-être aucun prophète de la première alliance ne l’a été. Triste destinée de Jérémie qui préfigure si bien celle du Christ lui-même ! Le propre Fils de Dieu haï au premier chef par les gardiens de la religion dans laquelle il avait été élevé, eux qui pensaient comprendre bien mieux la Parole de Dieu que le Verbe en personne !
Eh bien, on pourra toujours m’accuser de faire preuve d’un orgueil colossal, pour moi je sais ce qui m’a été confié par le Dieu Trinité et quel est le juste combat que je dois mener. Comme Jérémie, oui, je suis parfois remplie d’indignation. Vivant désormais dans une grande solitude, à l’écoute d’un profond silence, les considérations mondaines ne m’atteignent plus guère. J’ai appris depuis de longues années à meubler ce silence de la méditation des Ecritures et de l’écoute attentive de l’Esprit dans l’oraison. J’ai appris aussi – ou pour le dire mieux, j’ai désappris à chercher à plaire à autrui. Peu m’importe de plaire ou de déplaire, pourvu que je fasse œuvre de vérité. Je suis libre de ce souci qui mine tant et tant de mes sœurs en humanité : plaire à un homme, conquête potentielle ou mari, plaire à son auditoire, plaire aux médias, plaire à ses supérieurs hiérarchiques, plaire même à son curé ou accompagnateur spirituel par une grande docilité aux enseignements de l’Eglise…
Toutes ces vanités, le Seigneur, dans la radicalité de son amour, m’en préserve. Car comme le disaient Pierre et les Apôtres en Actes 5, 29 : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.” Je dirais volontiers la même chose quant au souci de plaire. Avoir l’assentiment du Père et du Fils dans ce que j’écris suffit amplement à mon bonheur et à mon assurance, quels que soient les grincements de dents que je suscite. Car, comme à Jérémie, le Seigneur ne cesse de me faire la promesse de ma justification. Qu’elle ait lieu de mon vivant sur terre ou après mon départ m’importe finalement assez peu : je sais que tôt ou tard, on reconnaîtra que je ne disais que la vérité quant à la nature premièrement encline aux commandements de Dieu de la fillette et de la femme, à l’image de Marie ou de tant et tant de saintes reconnues ou non par l’Eglise qui ont su conserver comme première et prépondérante inclination personnelle le bien et le juste. Ce qui leur est possible quand elles cherchent à ne plaire à personne davantage qu’à Dieu.
Là où les hommes ont le péché inscrit en leur chair conquérante et volontiers belliqueuse ou dominatrice, leurs vis-à-vis féminines sombrent dans les mêmes défauts qu’eux quand elles les admirent et les envient à outrance. A force de vouloir être leurs “égales”, les femmes de ma génération ne se rendent plus compte qu’elles pourraient très bien, de par leur inclination naturelle aux valeurs évangéliques, revendiquer de n’être point égales aux hommes dans le péché comme elles le sont en effet. Et je trouve aussi particulièrement navrant que de nombreuses femmes chrétiennes s’obstinent à battre continuellement leur coulpe comme si elles étaient d’affreuses pécheresses invétérées. C’est se méconnaître soi-même. Pour moi, à la lumière des Ecritures, ce que j’ai compris depuis longtemps sur notre “inégalité ” face au péché me rend sereine et absolument libre face à mes détracteurs masculins, fussent-ils des éminences de l’Eglise. Si le grand nettoyage théologique qui serait nécessaire sur ces questions ne se fait pas, les anges de Dieu se chargeront bien à terme de révéler au grand jour l’ivraie doctrinale qui a entraîné depuis des millénaires tant et tant de mépris envers les femmes et, dans l’esprit des femmes, l’ignorance de leur parfaite dignité originelle.
Image : Le Prophète Jérémie (détail) Michel-Ange