En ce temps-là,
Jésus rassembla les Douze ;
il leur donna pouvoir et autorité sur tous les démons,
et de même pour faire des guérisons ;
il les envoya proclamer le règne de Dieu
et guérir les malades.
Il leur dit :
« Ne prenez rien pour la route,
ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ;
n’ayez pas chacun une tunique de rechange.
Quand vous serez reçus dans une maison,
restez-y ; c’est de là que vous repartirez.
Et si les gens ne vous accueillent pas,
sortez de la ville et secouez la poussière de vos pieds :
ce sera un témoignage contre eux. »
Ils partirent
et ils allaient de village en village,
annonçant la Bonne Nouvelle
et faisant partout des guérisons.
Luc 9, 1-6
Textes litugiques ©AELF
Je ne développerai pas la différence flagrante qui saute aux yeux en lisant cet extrait d’évangile entre la vie que Jésus enjoint ses douze disciples de mener, et celle que mènent leurs successeurs les prêtres et évêques d’aujourd’hui. Mais passons. Tout au plus verra-t-on là une piste pour comprendre l’effondrement de l’Eglise et de la foi catholique de nos jours, du moins en occident.
Je m’attacherai aujourd’hui au début de cet extrait : Jésus rassembla les Douze ; il leur donna pouvoir et autorité sur tous les démons, et de même pour faire des guérisons.
Et je pose la question : que reste-t-il de cette prérogative des disciples de nos jours ?
Je crois profondément au sacrement de l’Ordre. Je crois que le Seigneur appelle des hommes au ministère, et je crois que par la grâce de l’Esprit, il leur confère à l’ordination leurs prérogatives. Dans l’Evangile de Luc, l’épisode de la multiplication des pains vient juste après l’envoi des douze en mission. Aussi me paraît-il tout à fait clair que le don de l’eucharistie aux foules fera aussi partie de la mission des envoyés du Seigneur. Et j’ajoute que contrairement à une tendance que je discerne ici ou là dans mes échanges avec d’autres catholiques plutôt libéraux, je crois profondément à la Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, et ce quelle que soit la posture et la sainteté – ou non – du prêtre. Le Seigneur choisit, envoie et donne pouvoir à ses prêtres par le sacrement de l’Ordre de changer le pain et le vin en Corps et Sang du Christ. Je confesse ici cette foi profonde.
Pour le reste, j’ai un regret : que font les prêtres et les évêques du charisme de leurs prédécesseurs, à savoir “le pouvoir et l’autorité sur tous les démons” et la capacité à “faire des guérisons” ?
Certes, nous pouvons, par eux, nous approcher de la miséricorde du Seigneur et recevoir le sacrement de la réconciliation, et c’est une fort belle chose. La guérison spirituelle qui peut sourdre de ce sacrement est remarquable. Relevé de ses péchés, le chrétien peut reprendre sa route régénéré à la suite de son Seigneur.
Mais force est de constater que de nos jours, le charisme des prêtres semble ne pas aller plus loin dans le domaine de la guérison. Des miracles de leur fait, c’est devenu rarissime. Et face à ce constat, très nombreux sont les théologiens qui relativisent l’Evangile, arguant que même les miracles de Jésus n’étaient que des symboles ou tout au plus des guérisons psychiques. Le “tout psy” du XXe siècle est passé par là…
Or, j’irai une fois de plus à contre-courant de cette tendance moderne : pour moi, je prends les évangiles dans leur entièreté et je ne négocie pas sur tel ou tel point, connaissant le Seigneur Jésus au plus intime de son Etre et du mien, et sachant qu’il est véridique tant dans sa Parole que dans ses actes consignés dans les évangiles canoniques. Et donc, j’accueille même ce qui trouble ou fait rire le baptisé d’aujourd’hui, à savoir que le Mauvais existe et qu’il envoie ses hordes de démons pour tourmenter les âmes, soit directement en elles, soit par prochain interposé. Et je ne parle pas là en théorie, mais par observation et expérience. J’y ai déjà fait allusion la semaine dernière au sujet de Marie de Magdala de laquelle étaient sortis sept démons (Luc 8, 2) . Si on veut nier l’existence et l’action malfaisante des démons, eh bien il faut réécrire tout l’Evangile ou le renier, rien moins. Jésus n’a pas arrêté d’être confronté au diable : pendant quarante jours au désert après son baptême, et tout au long de son ministère en ces malheureux qu’il en délivre ou qui le livrent et le persécutent jusqu’à la mort. Jésus, l’antithèse par essence du Mal, l’a sans cesse croisé en travers de son chemin pour tenter de le faire fléchir, le discréditer, le faire sortir de sa réserve ou le provoquer. Et le Seigneur, par sa suréminente sainteté, le confond, le chasse, le réduit à néant.
D’où vient que les prêtres contemporains, à de rares exceptions près, ont abandonné ce charisme de l’exorcisme ? Est-ce dû à un défaut de foi ? Un défaut de sainteté ? Une peur du ridicule ?
Le résultat en est que les fidèles tourmentés intérieurement ou par un proche gagné à un esprit mauvais sont abandonnés à leurs souffrances, relégués sans discernement vers la psychiatrie, quand ils ne sont pas moqués par les prêtres eux-mêmes. Curieux tout de même : les âmes qui s’approchent véritablement du Seigneur par expérience mystique sont systématiquement soupçonnées, même de nos jours, d’avoir affaire au démon plutôt qu’au Christ. Mais quant à les accompagner et les soulager dans leur combat spirituel, elles ne rencontrent pas grand monde de volontaire et de compétent. Et elles doivent en plus endurer le fait de voir les faussaires de la grâce mystique s’acquérir les bonnes grâces d’une fraction du clergé, qui s’imagine que plus on colle au catéchisme de l’Eglise catholique, plus on est dans une grâce authentique. Voire.
Alors la question est ouverte : y a-t-il un rapport entre le fait que nos prêtres ne vivent plus du tout à la manière des douze décrite dans l’évangile d’aujourd’hui et la disparition presque totale des charismes d’exorcisme et de guérison ?
Image : La Première Tentation du Christ Psautier enluminé, vers 1222 Copenhague
2 commentaires
Bonjour Véronique, il me semble qu’il y a chez certains deux craintes :
La première, qu’un exorcisme soit perçu comme une main-mise, la création d’un lien spirituel ou occulte, entre le ministre et le fidèle, même si ce qui est demandé est la délivrance, la guérison. Les abus de divers religieux ou “bergers” ont nourri cette crainte. Cette crainte est si présente que les exorcismes sont confiés au discernement et à l’action de l’exorciste officiel, dans chaque diocèse.
La seconde est le dénuement pouvant être ressenti devant une prière ou un exorcisme sans effet visible, qui met en échec, qui confronte à la puissance du mal. Même si dans la foi, nous croyons que le mal n’aura pas le dernier mot. Pourquoi mon fils n’est il pas guéri ? Et si oui, pourquoi lui et pas son voisin? Est ce qu’il faut mieux demander à Dieu une aide spirituelle pour vivre cette épreuve? Ou prier pour demander une guérison, une délivrance? Ne risque t’on pas de faire douter certains de l’amour infini de Dieu si Dieu semble se taire? Ces questions, il est probable que certains pasteurs y soient confrontés.
Je remarque que dans les diocèses parisiens, des soirées de guérisons ont lieu, avec parfois des guérisons inexpliquées.
A très bientôt chère Véronique, en union de prière , Claire
Chère Claire, merci pour cette réponse fort intéressante. Elle donne matière à réfléchir. Il est vrai que je n’avais pas envisagé la question sous cet angle-là.
Amitiés,