Il me dit encore :
‘Le Dieu de nos pères t’a destiné à connaître sa volonté,
à voir celui qui est le Juste
et à entendre la voix qui sort de sa bouche.
Car tu seras pour lui, devant tous les hommes,
le témoin de ce que tu as vu et entendu.
Et maintenant, pourquoi tarder ?
Lève-toi et reçois le baptême,
sois lavé de tes péchés en invoquant son nom.’
Actes des Apôtres 22, 14-16
La conversion de Paul a été fulgurante : chute, vision d’une lumière qui l’aveugle, voix du Seigneur entendue, retournement de son cœur en faveur du christianisme naissant. Le Christ Jésus l’avait choisi, lui le persécuteur acharné de ses premiers disciples, pour témoigner de sa Parole dans tout le pourtour de la Méditerranée et de la mer Egée. Missionnaire infatigable et visiteur des premières églises chrétiennes, il édifie dans la foi, exhorte par ses lettres qui sont restées autant d’enseignements pour nous sur le contenu de notre foi et la manière de la pratiquer ; et par l’exemple de la persécution voire de l’emprisonnement maintes fois endurés au fil de ses voyages, il nous encourage à la persévérance quand l’Evangile dérange et que d’aucuns voudraient anéantir notre témoignage au sujet de Celui qui est pourtant Chemin, Vérité et Vie.
Oui, dans notre vie chrétienne d’aujourd’hui encore, nous devons énormément au zèle apostolique de Paul. Il est aussi le témoin incontestable du fait que le Seigneur Jésus est bien ressuscité et vivant : c’est sans doute dans cette optique que le Christ Jésus a choisi pour évangéliser les païens un homme qui ne l’a pas connu du temps de son incarnation. Ce qui n’empêche pas le Seigneur de se manifester, vivant, à Paul par des visions ou des paroles entendues, ce pour lui préciser ce qu’il doit annoncer de sa part. Paul collaborera aussi avec les douze qui ont connu Jésus, une façon de demeurer plus proche encore du Seigneur.
J’ai toujours plaisir à lire l’épopée des Actes des Apôtres et les Epîtres. Mon seul regret ait que Paul ait distillé ici ou là des recommandations assez misogynes qui lui étaient propres et ne venaient pas du Seigneur Jésus. On cherchera en vain dans les Evangiles une seule parole de Jésus discriminante à l’égard des femmes ; au contraire, il a eu le courage de prendre tous les risques à leurs côtés à cette époque et dans cette tradition encore tellement patriarcales.
Cependant, comme le disait Alfred Loisy vers 1900 : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue » (L’Évangile et l’Église).
Il est vrai qu’il y a parfois un étrange contraste entre l’Eglise née des premiers Apôtres et le dépouillement de Jésus et ses disciples sur les routes de Palestine. Nous voici, quelque vingt siècles plus tard, face à une institution sclérosée – je parle en particulier de l’Eglise catholique romaine – figée dans un empilement de dogmes qui ont largement dépassé les enseignements initiaux de Paul, défigurée par les tenues fastueuses des prélats, empêtrée dans des scandales financiers, sexuels et de dissimulation organisée du crime, la Cité du Vatican n’étant pas ce qui reflète le mieux la sobriété de l’Evangile. L’organisation pyramidale et autoritaire de l’Eglise étant de même plutôt un contre-témoignage à l’Evangile des pauvres et des parias du monde juif d’il y a 2000 ans qui étaient si chers au cœur de Jésus. De même au sujet des contributions récurrentes des représentants de l’Eglise catholique contemporaine dans le débat public : cela va tourner autour des questions de morale sexuelle et familiale, de bioéthique, d’évolution sociétale. Alors que Jésus prêchait essentiellement le Royaume de Dieu à venir, la conversion du cœur et les œuvres de charité dès cette vie. L’Eglise vue par un regard extérieur ne reflète guère cette réalité-là, même si le Pape François, un peu isolé au sein de la curie romaine, produit souvent des efforts désespérés pour nous ramener à la quintessence de l’Evangile.
Alors aujourd’hui, en cette fête de la conversion de Paul, je voudrais dire que le Christ Jésus, lui, n’a pas changé, et ce malgré tous les contre-témoignages de l’Eglise qui se réclame de la succession des Apôtres. Non, il n’a pas changé, il a toujours le même désir au cœur : annoncer avant toutes choses le Royaume de Dieu qui vient, les béatitudes, son souci du plus faible et du plus pauvre. Et comme le Christ ne saurait demeurer enfermé que dans un tabernacle à dorures, il se donne à qui il veut et comme il veut. Et tout comme il a choisi Paul que personne parmi les premiers chrétiens et encore moins parmi les juifs dont il était issu n’attendait à ce ministère d’évangélisation, le Christ Jésus est souverainement libre aujourd’hui de se révéler à qui il veut pour rappeler l’essentiel de son message et annoncer, dans la grâce du Père, qu’après vingt siècles d’Eglise qui finit par ne pas briller par sa sainteté, il est tout près de revenir pour établir enfin le Royaume promis, dans un ailleurs totalement inconnu de nous qui n’est ni le Vatican, ni Jérusalem, ni même cette première création déchue et dévoyée par la convoitise de l’homme.
Par contre, en ces temps où nous sommes, parmi les successeurs des Apôtres, aucun n’a le courage de se lever comme Ananie pour attester que le Christ a choisi tel témoin selon son cœur et pas tel autre qui porterait pieusement mitre ou col romain.
Image : La conversion de saint Paul Anonyme, Musée de Hanovre