Israël, c’est-à-dire Jacob, aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, parce qu’il était le fils de sa vieillesse, et il lui fit faire une tunique de grand prix.
En voyant qu’il leur préférait Joseph, ses autres fils se mirent à détester celui-ci, et ils ne pouvaient plus lui parler sans hostilité.
Les frères de Joseph étaient allés à Sichem faire paître le troupeau de leur père.
Israël dit à Joseph : « Tes frères ne gardent-ils pas le troupeau à Sichem ? Va donc les trouver de ma part ! »
Joseph les trouva à Dotane.
Ceux-ci l’aperçurent de loin et, avant qu’il arrive près d’eux, ils complotèrent de le faire mourir.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Voici l’expert en songes qui arrive !
C’est le moment, allons-y, tuons-le, et jetons-le dans une de ces citernes. Nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré, et on verra ce que voulaient dire ses songes ! »
Mais Roubène les entendit, et voulut le sauver de leurs mains. Il leur dit : « Ne touchons pas à sa vie. »
Et il ajouta : « Ne répandez pas son sang : jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main sur lui. » Il voulait le sauver de leurs mains et le ramener à son père.
Dès que Joseph eut rejoint ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique de grand prix qu’il portait,
ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne, qui était vide et sans eau.
Ils s’assirent ensuite pour manger. En levant les yeux, ils virent une caravane d’Ismaélites qui venait de Galaad. Leurs chameaux étaient chargés d’aromates, de baume et de myrrhe qu’ils allaient livrer en Égypte.
Alors Juda dit à ses frères : « Quel profit aurions-nous à tuer notre frère et à dissimuler sa mort?
Vendons-le plutôt aux Ismaélites et ne portons pas la main sur lui, car il est notre frère, notre propre chair. » Ses frères l’écoutèrent.
Des marchands madianites qui passaient par là retirèrent Joseph de la citerne, ils le vendirent pour vingt pièces d’argent aux Ismaélites, et ceux-ci l’emmenèrent en Égypte.
Genèse 37,3-4.12-13a.17b-28
Textes liturgiques©AELF
La liturgie du jour met avec raison ce texte de la Genèse qui raconte la persécution de Joseph par ses frères en parallèle avec la parabole des vignerons homicides ( (Matthieu 21, 33-43.45-46). C’est un peu la même histoire : les envoyés de Dieu, dans la parabole, sont haïs par des jaloux tout comme Joseph, préféré par son père à ses autres frères, a suscité leur jalousie quasi mortifère.
Il existe un tabou dans l’amour paternel ou maternel au sujet des préférences entre les enfants : tout un chacun se défendra d’avoir été “le préféré” d’un de ses parents, tout comme on se sentira naturellement lésé de ne pas l’avoir été. Source de conflits familiaux de toute éternité, cet état de fait a toujours créé des luttes sans merci dans les fratries. Et on aura beau répéter, en tant que parent, qu’on n’a jamais fait aucune différence entre ses enfants, c’est bien difficile en réalité de ne pas avoir davantage d’affinités avec telle ou telle personnalité dans sa progéniture. Le tort de Jacob aura peut-être été de ne pas dissimuler sa préférence au point de favoriser son fils Joseph matériellement également, ce qui aura excédé ses frères jusqu’au complot contre lui.
Je vais réitérer ici une conviction qui fait souvent grincer des dents quand je l’avance : tout comme des parents, même bien involontairement, peuvent avoir une préférence pour l’un de leurs enfants, Dieu notre Père a aussi des préférences pour certaines de ses créatures. C’est ainsi, même si cela peut paraître révoltant.
L’histoire biblique est celle de ces appelés, de ces “préférés” de Dieu : d’Abraham à Paul, en passant par Isaac, Jacob, Moïse, David, Marie de Nazareth et les deux autres Marie (de Béthanie et de Magdala), les douze apôtres et les évangélistes, le Père puis le Fils ont eu des amis plus proches que d’autres de leur cœur, des prophètes choisis et des témoins privilégiés de leur Parole et de leur Volonté. Cela ne nous révoltant pas quand nous lisons les Ecritures, pourquoi éprouver de la jalousie vis-à-vis des élus des siècles d’histoire sainte qui ont si bien répondu à l’appel de Dieu qu’ils se sont hissés vers les sommets périlleux de la sainteté ? Pourquoi, de nos jours, se récrier à l’idée que Dieu appelle et se penche plutôt vers tel de ses enfants que vers tel autre ?
Car il est une dimension qu’il ne faut pas oublier : être dans les bonnes grâces de Dieu pour devenir un témoin privilégié de sa Parole et de sa Volonté attire sur soi bien des persécutions : ce chemin-là n’est pas du tout un sentier de confortable promenade. Revenons à la parabole des vignerons homicides : tous jalousent et exécutent l’héritier véritable de la vigne. Et si Dieu Père n’a pu empêcher que son propre Fils soit mis en croix, combien plus les témoins du Christ crucifié sont-ils amenés à souffrir pour lui et pour la vérité ! Pierre crucifié tête en bas, Paul battu, lapidé, emprisonné maintes fois, Marie le cœur transpercé d’un glaive au pied de la croix, Jeanne d’Arc brûlée vive, Thérèse d’Avila criblée de maladies et poursuivie par l’Inquisition, Jean de la Croix mis au cachot, Edith Stein martyrisée à Auschwitz et jusqu’aux prophètes contemporains haïs à la fois par le monde et par bien des responsables religieux…
Non, la vie d’enfant préféré du Père n’est pas une petite promenade d’agrément. Une telle élection se paie très cher ici-bas. Mais comme Marie, à Lourdes, le dit naguère à Bernadette :
“Je ne vous promets pas d’être heureuse en ce monde, mais dans l’autre”.
C’est cette promesse-là qui rend forts et endurants les bien-aimés du Père.
Image : Joseph vendu par ses frères – Eglise Saint Germain des Prés- Paris
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