En ce temps-là, Jésus parcourait la Galilée : il ne voulait pas parcourir la Judée car les Juifs cherchaient à le tuer.
La fête juive des Tentes était proche.
Lorsque ses frères furent montés à Jérusalem pour la fête, il y monta lui aussi, non pas ostensiblement, mais en secret.
On était déjà au milieu de la semaine de la fête quand Jésus monta au Temple ; et là il enseignait.
Quelques habitants de Jérusalem disaient alors : « N’est-ce pas celui qu’on cherche à tuer ?
Le voilà qui parle ouvertement, et personne ne lui dit rien ! Nos chefs auraient-ils vraiment reconnu que c’est lui le Christ ?
Mais lui, nous savons d’où il est. Or, le Christ, quand il viendra, personne ne saura d’où il est. »
Jésus, qui enseignait dans le Temple, s’écria : « Vous me connaissez ? Et vous savez d’où je suis ? Je ne suis pas venu de moi-même : mais il est véridique, Celui qui m’a envoyé, lui que vous ne connaissez pas.
Moi, je le connais parce que je viens d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. »
On cherchait à l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui parce que son heure n’était pas encore venue.
Jean 7,1-2.10.14.25-30
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
L’extrait complet de l’évangile de Jean versets 7,1 à 7,30 est tellement riche que je regrette bien que la liturgie du carême le saucissonne ainsi. Je vais donc à dessein publier ici (source AELF) les extraits omis dans le découpage de ce jour, et me permettre de les méditer aussi.
03 Alors les frères de Jésus lui dirent : « Ne reste pas ici, va en Judée pour que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais.
04 On n’agit pas en secret quand on veut être un personnage public. Puisque tu fais de telles choses, il faut te manifester au monde. »
05 En effet, les frères de Jésus eux-mêmes ne croyaient pas en lui.
06 Jésus leur dit alors : « Pour moi, le moment n’est pas encore venu, mais pour vous, c’est toujours le bon moment.
07 Le monde ne peut pas vous haïr, mais il a de la haine contre moi parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises.
08 Vous autres, montez à la fête ; moi, je ne monte pas à cette fête parce que mon temps n’est pas encore accompli. »
09 Cela dit, il demeura en Galilée.
Cet extrait instructif sur la famille de Jésus serait-il compromettant pour la doctrine catholique, de sorte que la liturgie préfère l’omettre aujourd’hui ?
On ne parle pas si souvent des frères de Jésus dans les Evangiles ! En Marc 3, 32-35, Mathieu 12, 46-50 et Luc 8, 19-21, ils arrivent avec Marie pour parler à Jésus, sans doute dans le but de le raisonner à leur manière pour qu’il rentre à la maison et cesse d’enseigner les foules. Ici, en Jean 7, 3-5, les choses se précisent : ils cherchent à lui tendre un piège car “eux-mêmes ne croyaient pas en lui”. Voilà de quoi écorner l’image bien lisse d’une sainte famille idyllique et admirative du Fils chéri ! Les frères de Jésus, qui sont très vraisemblablement nés du couple Marie et Joseph après lui, ne sont pas épargnés par le doute à son sujet voire par une certaine hostilité teintée de jalousie spirituelle. Ils sont prêts à l’envoyer dans les griffes des Judéens qui en veulent à sa vie ! Jésus leur réplique avec intelligence que le monde est indulgent pour ceux qui lui appartiennent – ses propres frères. Mais infiniment plus hostile à qui dénonce ses œuvres mauvaises comme lui prend le risque de le faire chaque jour de sa prédication.
La liturgie du jour omet aussi le passage suivant :
11 Les Juifs le cherchaient pendant la fête, en disant : « Où donc est-il ? »
12 On discutait beaucoup à son sujet dans la foule. Tandis que les uns disaient : « C’est un homme de bien », d’autres répliquaient : « Mais non, il égare la foule. »
13 Toutefois, personne ne parlait ouvertement de lui, par crainte des Juifs.
On y constate que la personne de Jésus est sujet de débat dans la foule rassemblée à Jérusalem pour la fête des Tentes : le bien qu’il fait est loué par certains et pose question, autant que ses propos subversifs lui attirent des inimitiés. Et que parler de Jésus est déjà une prise de risque face aux gardiens de la religion juive qui l’ont déjà largement pris en grippe.
Vient ensuite un vaste extrait fort intéressant, omis lui aussi dans la liturgie, où Jésus se risque à révéler qui inspire ses paroles et ses œuvres : le Père lui-même.
15 Les Juifs s’étonnaient et disaient : « Comment est-il instruit sans avoir étudié ? »
16 Jésus leur répondit : « Mon enseignement n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé.
17 Quelqu’un veut-il faire la volonté de Dieu, il saura si cet enseignement vient de Dieu, ou si je parle de ma propre initiative.
18 Si quelqu’un parle de sa propre initiative, il cherche sa gloire personnelle ; mais si quelqu’un cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est vrai et il n’y a pas d’imposture en lui.
19 Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi ? Et aucun de vous ne met la Loi en pratique. Pourquoi cherchez-vous à me tuer ? »
20 La foule répondit : « Tu as un démon. Qui donc cherche à te tuer ? »
21 Jésus leur répondit : « Pour une seule œuvre que j’ai faite, vous voilà tous dans l’étonnement.
22 Moïse vous a donné la circoncision – en fait elle ne vient pas de Moïse, mais des patriarches –, et vous la pratiquez même le jour du sabbat.
23 Eh bien ! Si, le jour du sabbat, un homme peut recevoir la circoncision afin que la loi de Moïse soit respectée, pourquoi vous emporter contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ?
24 Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice. »
Précieux enseignement de Jésus sur le discernement des esprits, qui ferait bien d’inspirer ceux qui sont chargés, en Eglise de nos jours, de rendre leur jugement sur telle ou telle inspiration spirituelle ou mystique ! A l’heure où l’on survalorise les études de théologie pour prendre une parole sur Dieu ou l’Eglise au sérieux, ne nous faut-il pas revenir à notre seul vrai Maître, le Christ Jésus, qui n’avait étudié à aucune école rabbinique, pas même comme Paul à l’école de Gamaliel ? Or, le véritable enseignement divin ne provient d’aucun homme, d’aucune femme sur terre, non, il sourd de la sainte Trinité elle-même, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, et ce en ligne directe, sans intermédiaire patristique, ecclésial ou universitaire ! Jésus en est le modèle absolu et parfait : il reçoit tout de son Père dans sa propre prière, inspiration pour sa prédication, pour le choix de ses disciples et pour les œuvres qu’il va accomplir. Et c’est bien ce qui irrite au plus haut point son entourage, de ses frères de sang qui ne bénéficient pas d’une telle grâce jusqu’aux responsables religieux de son temps que la liberté et la cohérence de cet homme mettent en accusation, eux qui louvoient avec les commandements divins et se montrent incapables de reconnaître l’action divine là où elle se manifeste, contemporaine à eux ! Jésus est pour eux un prophète hautement subversif, prêt à dénoncer leur compromission avec l’esprit du monde, véritable révélateur de leur hypocrisie et de leur goût du pouvoir. Bref, un danger dans leurs prérogatives. Quoi de plus naturel pour eux alors que de le poursuivre de leurs griefs pleins de mauvaise foi, en le faisant passer, au besoin, pour un possédé !
Je tenais à remettre en évidence les extraits de Jean 7, 1-30 omis ce jour par l’AELF, car ils sont aussi porteurs de sens profond dans les temps où nous sommes.
Retenons donc qu’un prophète contemporain authentique n’a aucunement besoin d’être bardé de diplômes de théologie, la Parole et la Volonté de Dieu ne s’acquérant pas dans les universités mais dans le lien filial avec le Père, le lien d’amour avec le Fils et son imitation, et le souffle souverainement libre de l’Esprit.
Retenons qu’un tel prophète sera très souvent objet de raillerie et de jalousie dans sa propre famille biologique et religieuse : il dérange, ses proches et ses coreligionnaires se montrant souvent incapables de le reconnaître comme authentiquement inspiré.
Et enfin, vu l’évolution des mœurs et croyances en vingt siècles, on n’accusera plus, de nos jours, un tel prophète d’être possédé par le démon comme Jésus lui-même le fut. Non, bien plus commode est de le reléguer dans les oubliettes du domaine de la psychiatrie : c’est ainsi que l’on se débarrasse, en ce vingt-et-unième siècle, de toute parole orale ou écrite percutante, cohérente, juste, conforme aux Ecritures et à l’exemple du Christ Jésus, qui dérange trop les moelles de l’âme pour qu’on la prenne en considération.
Image : Le Christ au jardin des Oliviers Carl Heinrich Hoffmann, XIXe