Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute.
Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.
Isaïe 50,4-7
Textes liturgiques©AELF
Qui pourrait nier le puissant souffle prophétique qui traverse tout le Livre d’Isaïe ?
Ici, dans le troisième chant du serviteur, comme dans les trois autres du “Second Isaïe”, nous avons une excellente définition de ce qu’est un prophète : c’est quelqu’un qui, à l’initiative de Dieu, a eu “l’oreille ouverte” pour écouter le Très-Haut et annoncer sa Parole quoi qu’il doive lui en coûter. Son rôle est à la fois de consoler les affligés – soutenir celui qui est épuisé – et de fustiger les infidèles à Dieu, ceux qui l’ignorent, qui l’utilisent à leurs fins personnelles, qui manipulent sa Parole, qui s’égarent dans l’amour du pouvoir, des richesses, ou dans l’idolâtrie. Et le prix à payer par le prophète pour ces admonestations, c’est la détestation de ceux qui sont incriminés par ses paroles. Cela peut aller très loin, jusqu’aux outrages et aux crachats, à la persécution incessante voire à la mise à mort.
A l’évidence, ce Serviteur souffrant apparaissant dans le Deutéro-Isaïe préfigure le Christ Jésus lui-même, et ce quelques sept siècles avant sa naissance. C’est dire qu’en Dieu Père, il y a une cohérence, une continuité, une prescience de ce que sera l’histoire des hommes marqués par le péché d’orgueil, d’infidélité aux commandements, de refus d’entendre sa voix même quand elle parvient avec authenticité par les prophètes qu’IL se choisit lui-même. La longue histoire de l’humanité est traversée par cette défiance chronique envers son Dieu, cette volonté de l’ignorer ou de le défier pour n’en faire qu’à sa guise. Et pourtant Il se manifeste à elle ! Par les Prophètes de l’Ancien Testament, puis de manière éminente par son Fils lui-même – le Verbe annoncé déjà par Isaïe – et après lui, par d’authentiques disciples prêts eux-mêmes au martyre à son image et à sa ressemblance pour défendre l’insurpassable radicalité et vérité de l’Evangile.
Or que se passe-t-il aujourd’hui ?
Il existe une foule de prophètes auto-proclamés, et l’on finit par croire que leur authenticité est proportionnelle à leur popularité. Les chrétiens vont se pâmer devant tel prédicateur qui les envoûte à force de paroles mielleuses souvent dégoulinantes de miséricorde à bas coût, ou alors ils s’engouffrent à la suite de “voyantes” et autres mystiques écrivant soi-disant sous la dictée de Jésus et qui assurent leur business avec force livres, conférences, apparitions publiques ostentatoires au cours desquelles elles sont acclamées comme des saintes pré-canonisées.
Attention ! Il faut en revenir à la définition du prophète par Isaïe !
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
Voilà le quotidien du prophète authentique, les outrages pouvant être de pieuses moqueries et accusations de désordre mental, et les crachats des rappels péremptoires par les pharisiens d’aujourd’hui à la sacro-sainte doctrine !
Le prophète authentique n’est véritablement comblé que dans sa prière, et dans la certitude qu’il sera justifié un jour ou l’autre par son Dieu et non par les foules – même l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem, que nous commémorons en ce dimanche des Rameaux, n’a duré que peu de temps, nous savons bien qu’elle aboutit à la Passion dont nous faisons lecture immédiatement après.
Le Christ Jésus ne sera reconnu comme Fils de Dieu par des multitudes qu’après sa résurrection.
Ainsi du prophète, qui ne sera reconnu comme authentique que lorsque son Dieu en aura décidé ainsi, soit qu’il en meure, soit qu’il en demeure, mais jamais à l’aune des acclamations d’une foule faible en discernement et étourdie par des semblants de sainteté.
Image : Statuette de Saint Benoît, Abbaye Notre-Dame de Tamié