Le Seigneur l’a juré à David,
et jamais il ne reprendra sa parole :
« C’est un homme issu de toi
que je placerai sur ton trône.
« Si tes fils gardent mon alliance,
les volontés que je leur fais connaître,
leurs fils, eux aussi, à tout jamais,
siégeront sur le trône dressé pour toi. »
Car le Seigneur a fait choix de Sion ;
elle est le séjour qu’il désire :
« Voilà mon repos à tout jamais,
c’est le séjour que j’avais désiré.
« Là, je ferai germer la force de David ;
pour mon messie, j’ai allumé une lampe.
Je vêtirai ses ennemis de honte,
mais, sur lui, la couronne fleurira. »
Psaume 131 (132), 11, 12, 13-14, 17-18
Textes liturgiques©AELF
Ce psaume me saisit aux entrailles à chaque fois que je l’entends, surtout dans la magnifique interprétation qu’en ont faite en 1995 les moines de l’abbaye de Tamié dans un enregistrement que l’on peut encore trouver (“Louange au long des jours”, album en sept volumes).
Je m’étais procuré cet enregistrement lors d’un passage à l’abbaye de Tamié en Savoie dans ces années-là, sans savoir qu’il influerait profondément sur ma vie de foi.
En 1997, j’eus à vivre un deuil terrible dû à un suicide. Une des pires épreuves de ma vie familiale et psychique. Cet événement ô combien traumatique fit remonter en moi toutes les tensions refoulées dans mon esprit depuis l’enfance et la jeunesse. Un de ces moments charnières de l’existence, où votre corps et votre âme torturés réclament une refonte de votre manière d’être au monde, en affrontant avec lucidité vos propres dilemmes et contradictions intérieurs.
J’avais à cette époque remisé depuis quinze bonnes années ma foi chrétienne et ma pratique catholique. J’étais dans des années de tourbillon quotidien, la trentaine me forçant à concilier activité professionnelle, vie de couple, éducation des enfants et accès à la propriété. Il restait peu de place pour l’interrogation spirituelle, et pourtant le manque de ma foi perdue brutalement à l’aube de mes dix-huit ans me taraudait. Dans cette vie en apparence bien remplie, une vaste béance intérieure ne me laissait point de repos.
Survint alors ce deuil soudain, inimaginable, impossible à faire. Pour la première fois de ma vie, j’eus recours à l’aide d’un psychiatre de ville. Il m’accorda quelques jours d’arrêt maladie qui me permirent de faire une pause et de me laisser descendre jusqu’aux tréfonds de mes luttes intérieures.
Ces jours-là, je me mis à écouter en boucle l’enregistrement de Tamié, c’était celui du dimanche de “Louange au long des jours”, et chaque prière, chaque psaume, chaque cantique, chaque lecture me labourèrent l’âme si aride de ma foi perdue naguère. Et l’effet de ces chants des moines était d’autant plus fort en moi que l’un des solistes à la voix si pure était mon meilleur ami, trappiste à Tamié dans ces années-là, et dont le souvenir était profondément lié à la radicale remise en question de mon existence à ce moment précis de ma vie. C’était, à travers cette liturgie, toute la Parole de Dieu qui me revenait comme un flot impétueux, bousculant le fragile équilibre de ma vie trop dénuée de sens et me rendant la soif de transcendance que j’avais évacuée trop longtemps. Dans les affres de ma souffrance psychique et spirituelle, ces hommes donnés à la louange de l’Eternel et à la rumination de la Bible intervenaient soudain comme des intermédiaires directs entre le Ciel et moi. Ce Dieu en lequel je recommençais à croire me tendait une main secourable que je saisis vigoureusement, comme le fait une personne en train de se noyer. Et depuis ce jour, cette étreinte salvatrice ne s’est plus jamais distendue. Ma main fragile agrippée à celle du Tout-Puissant, se scella ces jours-là une alliance qui me garderait en vie malgré les tempêtes incessantes et violentes que j’allais affronter au cours de la décennie suivante.
Je garde un souvenir très vif de cette traversée bouleversante, malgré le quart de siècle qui s’est déjà écoulé depuis. La foi retrouvée dans ces nuits de lutte intérieure ne m’a plus jamais quittée depuis. Une lampe avait été allumée devant mes pas, j’avais retrouvé le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et en droite ligne, toute ma confiance au fils de David, mon Seigneur qui, par l’intermédiaire des plus humbles et cachés de ses serviteurs, revenait à moi en grande puissance de tendresse, de consolation et de salut. La couronne de la Royauté fleurissait à nouveau sur son front à mes yeux éblouis. Ce Jésus que j’avais tant chéri toute mon enfance et mon adolescence m’était enfin rendu dans son incontestable messianité, et, comble de la récompense divine à cette longue quête intérieure de Vérité, il me faisait sentir qu’il recherchait aussi dans mon cœur et mon âme un repos bien mérité ; non content de m’offrir la caresse de la consolation intérieure, il en attendait en effet tout autant de moi : que je devienne le havre de sa propre soif des âmes, de sa propre quête de l’amour des créatures auxquelles il se donne et qui lui témoignent souvent si peu de gratitude.
Alors, très loin des considérations géographiques, je comprends intimement aujourd’hui et pour toujours ces versets :
Car le Seigneur a fait choix de Sion ;
elle est le séjour qu’il désire :
« Voilà mon repos à tout jamais,
c’est le séjour que j’avais désiré.
Ecouter le Psaume 131 interprété par les chœur des moines de Tamié en 1995 :