Frères, je tiens à ce que vous le sachiez, l’Évangile que j’ai proclamé n’est pas une invention humaine. Ce n’est pas non plus d’un homme que je l’ai reçu ou appris, mais par révélation de Jésus Christ.
Vous avez entendu parler du comportement que j’avais autrefois dans le judaïsme : je menais une persécution effrénée contre l’Église de Dieu, et je cherchais à la détruire. J’allais plus loin dans le judaïsme que la plupart de mes frères de race qui avaient mon âge, et, plus que les autres, je défendais avec une ardeur jalouse les traditions de mes pères.
Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère ; dans sa grâce, il m’a appelé ; et il a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que je l’annonce parmi les nations païennes. Aussitôt, sans prendre l’avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient Apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie et, de là, je suis retourné à Damas. Puis, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Pierre, et je suis resté quinze jours auprès de lui. Je n’ai vu aucun des autres Apôtres sauf Jacques, le frère du Seigneur. En vous écrivant cela, – je le déclare devant Dieu – je ne mens pas.
Galates 1, 11-20
Textes liturgiques©AELF
Orgueilleux, Paul ? Délirant, Paul ? Illégitime à annoncer le Christ, lui qui ne l’a pas connu du temps de son incarnation ?
Il faudrait méditer un peu plus profondément sa conversion sur le chemin de Damas et son zèle apostolique, lui qui n’avait pas été disciple de Jésus sur les routes de sa pérégrination, de Nazareth à Jérusalem, et qui est pourtant devenu, par la force de son témoignage et de son martyre, une des deux “colonnes de l’Eglise” avec Pierre désigné par le Seigneur avant et après sa résurrection. Nous les fêtons tous deux aujourd’hui.
Quel chrétien, de nos jours, oserait avancer que Pierre a une légitimité qui fait défaut à Paul ? Qui oserait encore douter de la sincérité de la conversion de Paul et de l’authenticité de son expérience mystique, cette rencontre forte avec Jésus par-delà sa mort et sa résurrection ? Qui contesterait la validité des inspirations de Paul pour ce qui est de l’annonce de l’Evangile aux églises naissantes ? Et pourtant, Paul a mis du temps, des années même, avant de rencontrer Pierre et Jacques le frère de Jésus – et non pas son cousin ou voisin, faut-il encore le souligner… Paul a donc prêché un Evangile authentique avant que de s’être tourné vers les témoins directs de la vie terrestre de Jésus.
Or, que se passe-t-il de nos jours ?
Depuis vingt siècles, plus personne ne peut se targuer d’avoir croisé Jésus sur les routes de Palestine. Notre foi est héritée de l’histoire des chrétiens qui nous ont précédés et du témoignage des Ecritures. Et en principe, nous la recevons par transmission d’une église à laquelle nous appartenons par tradition familiale ou par choix. C’est tout le sens de l’héritage chrétien de génération en génération.
Mais il n’y a pas que cela. Paul / Saul était un juif pur et dur, persécuteur des premiers chrétiens qu’il jugeait ennemis de sa tradition religieuse pharisienne. Et c’est l’Esprit de Jésus lui-même qui va retourner son cœur radicalement au cours d’une de ses expéditions meurtrières. La vision de Paul sur le chemin de Damas marque un avant et un après décisifs dans sa vie. Jusqu’à faire de lui le prédicateur de l’Evangile le plus zélé des débuts du christianisme, dont nous méditons encore les écrits et actes quotidiennement dans toutes les églises chrétiennes.
D’où vient alors que de nos jours, ce genre d’expérience fulgurante et radicale de la présence du Christ soit aussi sujette à caution, notamment dans l’Eglise catholique romaine ? D’où vient qu’une expérience mystique intense, quand elle est authentique, suivie de zèle apostolique, concordante avec les Ecritures et dénuée d’intérêts lucratifs soit aussi suspecte aux yeux des descendants de Pierre ?
Tout se passe dans l’Eglise catholique romaine comme si la conformité à la tradition de l’Eglise et au moule de son catéchisme étaient les seuls critères de discernement positif d’une inspiration spirituelle. Tout se passe comme si Pierre, depuis sa chaire d’autorité, devait toujours l’emporter sur Paul le converti par Révélation. Tout se passe comme si de nos jours, une expérience aussi forte que celle de Paul n’était plus possible, comme si le Christ Jésus assis à la droite du Père était désormais bâillonné et rendu incapable de prodiguer un enseignement allant encore plus loin que l’Evangile primitif. Tout se passe comme si les héritiers des clefs de Pierre avaient eu le droit de tout verrouiller, de décréter “close” la Révélation (Catéchisme de l’Eglise Catholique 65). C’est tellement pratique de décréter que tout a été dit par Jésus le Verbe de Dieu du temps de son incarnation, et que de nos jours, il n’a plus rien à nous dire ! C’est tellement confortable pour des hommes d’Eglise de rester campés sur des Paroles inscrites dans une époque de patriarcat où les femmes comptaient pour rien – ce que Jésus a toujours contourné – et n’avaient pas droit à la parole en matière de doctrine religieuse ! (“Que les femmes se taisent dans les assemblées”, 1 Corinthiens 14, 34).
Tout cela est tellement avantageux pour ces messieurs les héritiers de Pierre qu’ils en ont fait une doctrine majeure et un critère de discernement des esprits absolu : si une parole révélée contredit un seul chapitre du sacro-saint catéchisme, au piloris le témoin, aux oubliettes l’âme inspirée ! Et surtout, bien sûr, si cette parole libre et nouvelle provient d’une femme !
Alors le successeur de Pierre aura beau dire “Soyons ouverts aux surprises de l’Esprit Saint”, il sous-entend que la sainte Eglise hiérarchique ne sera jamais contredite par ledit Esprit. Il aura beau dire que “l’Esprit Saint ne peut être mis en cage”, la blanche colombe est tout de même priée de demeurer bien contenue dans les barreaux de la doctrine séculaire.
Il y aurait donc deux poids, deux mesures ?
Un Paul qui aurait reçu le charisme de l’Evangile par révélation bien après l’Ascension du Seigneur, jusqu’à avoir le droit de s’irriter parfois contre Pierre (Galates 2, 11-14), et, à l’autre bout de l’épopée chrétienne, une femme qui recevrait les confidences ultimes du Seigneur mais n’aurait le droit que de se taire et d’avaler gentiment ses neuroleptiques, car étant femme, elle ne pourrait être que délirante ?
Voilà pourtant où nous en sommes aujourd’hui. Et j’entends d’ici ricaner ces messieurs – mes contradicteurs habituels – au demeurant fervents admirateurs de Paul, qui vont me répliquer avec mépris : “Vous avez donc une ligne directe avec le Ciel ?”
Si Jésus ne s’était pas adressé à Paul depuis les cieux, il n’y aurait jamais eu de christianisme pour les païens, et aucun de mes lecteurs ne serait baptisé.
Il est donc temps de sortir de cette logique enfermante de la tradition ecclésiale et de la suprématie du catéchisme, faute de quoi les chrétiens se rendront coupables de la même surdité à l’égard de l’Esprit Saint que les Juifs du temps de Jésus à la vérité du Verbe.
Image : Saint Pierre et Saint Paul El Greco, XVIe, Musée des arts catalans de Barcelone