En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Au dire des foules, qui suis-je ? »
Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; mais pour d’autres, Élie ; et pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. »
Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Pierre prit la parole et dit : « Le Christ, le Messie de Dieu. »
Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne,
et déclara : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »
Luc 9, 18-22
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Qu’est-ce qu’il nous fait là, Jésus, un caprice ?
Au fil de ses questions sur la perception qu’ont les autres de lui-même, il conduit Pierre à sa magnifique profession de foi :
« Le Christ, le Messie de Dieu. »
mais pour enjoindre aussitôt ses disciples à taire sa messianité !
Aurait-il honte d’être qui il est ? Ne l’assumerait-il pas ? Voudrait-il se réserver exclusivement un petit cercle d’initiés ?
Bien sûr, aucune de ces suppositions n’est juste. Jésus sait simplement, à ce moment-là de son histoire, alors qu’il a déjà accompli de nombreux signes et juste avant sa Transfiguration et la montée vers Jérusalem avec ses disciples, qu’il a encore la Parole de son Père et le Royaume à annoncer, et, confidence probablement reçue de l’Eternel tandis qu’il “était en prière à l’écart“, que les choses se termineraient très mal pour lui à Jérusalem.
Probablement troublé, effrayé par la perspective de cette issue – et il en fera l’annonce à ses disciples pour la première fois ce jour-là – Jésus désire vérifier ce qui se dit de lui, non pas par narcissisme évidemment, mais pour jauger du temps, du délai qu’il lui reste pour accomplir sa mission au milieu de ses contemporains. Il le sait désormais, et il le portera seul jusqu’au bout car les apôtres bornés ne veulent pas l’entendre, être authentiquement Fils de Dieu, l’avouer à demi-mot, va déclencher la fureur des gardiens de sa religion. La jalousie spirituelle étant une des maladies mortelles de l’âme, Jésus a bien compris, dans le cœur à cœur avec son Père, qu’il ne pourra survivre à celle des scribes et des pharisiens jaloux de leurs prérogatives, et que l’idée que celui-là soit authentiquement investi en droite ligne d’une mission divine insupportera, jusqu’à le faire condamner de manière inique pour qu’il soit mis à mort dans la ville sainte.
Jésus a désormais une claire compréhension de cette issue, et en sollicitant la discrétion de ses disciples – comme il le fait d’ailleurs quand il guérit autrui – il ne veut pas se cacher ou tromper son entourage, mais simplement reculer quelque peu l’échéance de sa mort. Et ce non pas par pleutrerie, mais pour se donner le plus longtemps possible au peuple déjà avide de ses paroles et de ses gestes de relèvement. En cela, nous reconnaissons l’abnégation du Fils de Dieu et son immense courage. La mort le fauchera dans la force de sa jeunesse, il le sait déjà, et les dénégations de Pierre n’y changeront rien (Marc 8, 31-33). Mais son cœur généreux et tendre aura à porter seul ce fardeau jusqu’au bout, ses propres disciples ne comprenant pas ce langage – et les chrétiens d’aujourd’hui qui prétendent que la Passion du Seigneur a été un “accident de l’histoire” et non une démarche sacrificielle ne sont-ils pas héritiers de ces dénégations des apôtres ?
Des femmes comprendront mieux qu’eux la solitude de Jésus et son appréhension face à ce qui l’attend à Jérusalem, en le suivant inconditionnellement comme Marie de Magdala, en l’écoutant avidement comme l’autre Marie à Béthanie, en demeurant jusqu’à son dernier souffle au pied de la croix comme la magdaléenne, sa propre mère et leurs compagnes. Et ce sera justice que le Seigneur se révèle ressuscité en premier lieu à ces femmes qui ne l’ont jamais ni mis en doute, ni trahi, ni abandonné.
Alors bien sûr, depuis cette résurrection du Christ Fils de Dieu, il ne s’agit plus pour nous baptisés de dissimuler sa messianité et notre foi en Lui : Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. (Romains 6, 9)
Proclamant notre foi en Lui, nous ne mettons plus Jésus en danger depuis le matin de Pâques !
Et nous mettrions-nous nous-mêmes en danger d’incompréhension, de moquerie, d’ostracisation, de persécution voire de mort, qu’importe, puisque notre seul Maître a daigné prendre ce chemin avant nous, lui qui était pur de tout péché et de tout blasphème ! Apprenons donc de Lui le vrai courage et la détermination à annoncer le Royaume qui vient, ainsi que le souci de faire en toutes choses la Volonté de Dieu !
Image : Jésus et les douze disciples Nicolas Poussin XVIIe