En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je m’en vais maintenant auprès de Celui qui m’a envoyé, et aucun de vous ne me demande : “Où vas-tu ?”
Mais, parce que je vous dis cela, la tristesse remplit votre cœur.
Pourtant, je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai.
Quand il viendra, il établira la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement.
En matière de péché, puisqu’on ne croit pas en moi.
En matière de justice, puisque je m’en vais auprès du Père, et que vous ne me verrez plus.
En matière de jugement, puisque déjà le prince de ce monde est jugé. »
Jean 16, 5-11
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
La phrase de Jésus que j’ai choisie pour titre embarrasse souvent les prédicateurs contemporains.
“Culpabilité”, “Péché”, “Justice”, “Jugement”, que voilà des mots bannis du langage catholique depuis quelques décennies!
Je viens de lire ici et là quelques commentaires pieux à ce sujet : et comme toujours, on cherche à nous enseigner que le vrai péché, c’est de ne pas croire en Jésus Christ, que la justice, c’est sa miséricorde, que de jugement il n’y aura point… Quant à la culpabilité du monde, elle serait déjà révolue puisqu’elle a consisté à crucifier le Fils de Dieu et qu’il est ressuscité, nous justifiant et nous sanctifiant tous d’ores et déjà de ce fait.
Alléluia, chrétiens – ou non – réjouissez-vous, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, son Prince – le mal – en est banni, le Christ l’a déjà vaincu, nous sommes tous des saints en puissance ! Notre péché est d’avance pardonné par la mort et la résurrection du Seigneur Jésus !
Loin, très loin de moi l’idée de minimiser la portée de la résurrection du Christ dont je mesure chaque jour qui passe la puissance transformante dans une âme qui l’aime et désire vivre de sa Parole !
Mais de là à prétendre que le Prince de ce monde soit déjà déchu et que le péché soit définitivement vaincu, il y a un pas qu’assurément, je ne puis franchir.
Car enfin, méditons un peu sur l’actualité quotidienne avant d’oser des affirmations théologiques et ecclésiales complètement décalées !
Ici, la violence des quartiers et même des campagnes est quotidienne : on tue par arme à feu pour des règlements de comptes liés au trafic de drogue, on vole et on viole, on arnaque en porte-à-porte ou via internet, on jette à terre des personnes âgées chancelantes pour leur dérober leurs quelques biens, on fraude à tout va, on se permet de détruire le bien public en marge de manifestations, on harcèle au collège et au travail, on continue à payer misérablement toutes les personnes qui se dévouent aux soins du prochain et à l’hygiène de nos lieux de vie, on ferme les yeux sur les migrants qui se noient en mer…
Là, des potentats se cramponnent au pouvoir, envoyant leur jeunesse mourir dans le pays voisin pour conquérir du territoire, des richesses et de l’influence, on truque voire abolit les élections, on profite d’un mandat ou d’un coup d’état pour s’enrichir par corruption sur le dos d’un peuple qui se paupérise, on se lance dans des guerres ethniques qui entraînent toutes les violences imaginables, notamment sur les femmes et les enfants, on terrorise les populations à coups d’attentats, de rapts et de déferlantes de tirs à l’aveugle, on manipule des textes religieux pour asservir les femmes et déscolariser les filles, on les voile et on les séquestre, on s’arroge le pouvoir absolu soi-disant au nom d’un Dieu qui serait toujours du côté du mâle dominant…
Cette liste de crimes et de méfaits pourrait être poursuivie indéfiniment…
Alors franchement, oser prétendre en ce siècle dans les envolées lyriques d’une homélie que le péché est vaincu depuis les deux millénaires qui viennent de s’écouler, que l’on me laisse me scandaliser de la fraude oratoire et théologique que cela constitue !
Souvent, dans une société, l’école est le reflet de sa bonne ou de sa mauvaise santé.
Là où on la ferme ou en interdit l’accès aux filles, là où l’on entend inculquer de fausses valeurs dès le plus jeune âge au profit d’un pouvoir en place, là où l’argent détermine la qualité d’un enseignement, à coup sûr on se trouve dans un état déviant.
Et ne croyons pas que nous, en Europe, soyons épargnés par les dérives de la mauvaise éducation : en quarante ans de carrière d’institutrice, j’ai vu les enfants, leurs parents et le climat général de l’enseignement public évoluer profondément, et pas dans le bon sens : élèves de plus en plus agités, instables, difficiles à intéresser voire sans frein social et éducationnel dans leur comportement entre eux et vis-à-vis de l’enseignant, parents arrogants ou susceptibles et sans limites dans l’ingérence au quotidien, institution maltraitante en matière de management, d’exigences de rendements statisitiques et de salaires indignes, et j’en passe…
Pessimiste ?
Ce n’est pas dans ma nature. Mais réaliste et lucide, oui.
Ainsi, j’ose l’affirmer : j’estime que le monde tourne complètement à revers des valeurs de l’Evangile qui est Vérité et qui est Vie. J’estime que l’homme porte en lui-même une puissance de nuisance au prochain qui dépasse sa conscience du bien à rechercher pour soi-même et le prochain.
Loin des commentaires bénis oui-oui qui prétendent que l’Esprit, depuis la Pentecôte originelle, agit en grande puissance dans les cœurs et les âmes, je constate dans le monde contemporain la banalisation du péché voire du crime; le délitement des valeurs morales et collectives issues des Dix commandements immémoriaux ; la course vers l’abîme de la déchéance de nos sociétés quelles qu’elles soient.
Et quelle force me pousse à écrire ceci ? N’est-ce pas justement celle de l’Esprit de Vérité que Jésus remontant vers le Père avait promis d’envoyer ? N’est-ce pas justement cet Esprit qui est capable d’établir la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement ?
Non, je ne suis pas pessimiste ni désespérée, puisque j’ai une espérance inextinguible chevillée au cœur : je suis persuadée quant à moi que toutes ces tribulations extrêmes ne sont qu’annonciatrices de la victoire finale du Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit Saint, puisque le Fils revient dans sa Gloire, et très bientôt, non pas pour restaurer ce monde dévoyé et perdu à jamais, mais pour ouvrir aux rachetés une Terre nouvelle sous des Cieux nouveaux où règneront enfin les valeurs de l’Evangile, à la lumière du Père, du Christ et de son Epouse, qui n’est pas, qui n’est plus “l’Eglise” coupable à travers les âges – et plus encore de nos jours – d’autant de crimes que la société elle-même.
Image : Polyptyque du Jugement Dernier (1445-1450) de Rogier van der Weyden aux Hospices de Beaune