En ces jours-là, à Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur apparut en songe à Salomon. Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » Salomon répondit :
« Ainsi donc, Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi, moi, ton serviteur, à la place de David, mon père ; or, je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter,
et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ; c’est un peuple nombreux, si nombreux qu’on ne peut ni l’évaluer ni le compter.
Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? »
Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit :
« Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner,
je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi. »
1 Rois 3, 5.7-12
Textes liturgiques©AELF
Salomon, en faisant cette demande au Seigneur à qui elle plaît et qui s’empresse de l’exaucer, n’a-t-il pas mis fin à l’antique interdit, dans le jardin d’Eden, de la connaissance du bien et du mal ? Cet interdit pouvait se comprendre dans un contexte où le bien était à la portée de l’être humain sans la présence dominante du mal. Dieu aurait aimé à nous préserver des intentions et actions mauvaises. Or, dans le monde où nous sommes tous plongés depuis ces temps immémoriaux, ce n’est guère le bien qui prédomine, mais malheureusement le mal. Orgueil, désir de s’affranchir des préceptes divins, cupidité, concuspiscence, intentions belliqueuses et passages à l’acte font notre malheur quotidien. Le “prince de ce monde”, semble à l’œuvre partout où “deux ou trois sont réunis en dehors de son Nom”, et même tragiquement, nous ne l’avons que trop constaté ces dernières décennies, au cœur même des différentes instances religieuses. Les cœurs corrompus s’acharnent à détourner la grâce pour meurtrir jusqu’à l’innocent.
Dans un tel contexte, faut-il s’acharner à ne pas vouloir discerner le bien et le mal ? Certes non, et Salomon, accédant au pouvoir royal, l’avait bien compris. Invité par son Dieu à formuler la demande d’un don, il sollicitera l’esprit de sagesse et de discernement, ce que le Seigneur s’empressera de lui accorder pour en faire un juge équitable et un roi sage dont la réputation perdurera au long des âges.
Ainsi, nous l’apprenons dans ce passage biblique, l’esprit de sagesse et de discernement est un don de Dieu, pleinement libre de l’accorder à la créature qui le désire ardemment et saura s’en servir avec équité et désintéressement. Et ceci sans mention d’appartenance à une caste sacerdotale qui de toujours s’est arrogé la prérogative de ce charisme, prétendant par là-même dominer les fidèles de telle ou telle religion en leur enseignant d’autorité ce qui serait le bien et ce qui relèverait le mal. Nos frères aînés juifs sont contraints par 613 commandements, nos frères musulmans par un degré plus ou moins élevé d’obéissance à la charia, et les catholiques sans cesse renvoyés sur les questions morales et sociétales au catéchisme. De là une posture moralisatrice et dominatrice des hommes investis d’un pouvoir religieux sur autrui, ceux-là s’autorisant à contraindre les fidèles de telle ou telle religion par le biais de préceptes que leurs prédécesseurs ont eux-mêmes édictés. Tout se passe comme si ces hommes de pouvoir voulaient prendre la place de Dieu interdisant aux temps originels les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal : ces messieurs autoproclamés intermédiaires entre Dieu et la créature auraient de manière privilégiée connaissance de ce qu’est le bien et de ce qu’est le mal, et seraient chargés d’en instruire les ouaillles à eux confiées.
Or, si nous en revenons aux Evangiles, nous observons en Jésus l’antithèse de ces censeurs moraux et sociaux : s’approchant au plus près des pécheurs, choisissant ses disciples parmi des hommes sans culture et sans prérogatives religieuses, réservant ses révélations christiques les plus profondes à des femmes ( la Samaritaine, Marthe et Marie de Béthanie, Marie de Magdala à sa résurrection), exauçant même des païens (le centurion et la Syro-phénicienne), prenant des libertés avec les contraintes du sabbat, Jésus fait exploser le cadre des prescriptions religieuses étroites et ne se prive pas de blâmer les dignitaires religieux “qui disent et ne font pas” ( Matthieu 23).
Ainsi, à la suite de Salomon et à la lumière des Evangiles, ne nous privons pas de solliciter l’Esprit de sagesse et de discernement qui ne peut nous être donné que par le Dieu Trinité prompt à nous exaucer quand nous désirons ce charisme pour être plus justes avec nous-mêmes et autrui et non pour exercer un pouvoir de contrainte voire d’asservissement sur les âmes.
« Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner,
je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi. »